Lyrique

"Nixon in China" au Châtelet : une rencontre Est-Ouest au sommet !

Une des plus excitantes productions de cette année est à découvrir impérativement au Théâtre du Châtelet jusqu’au 18 avril : "Nixon in China" un opéra de John Adams (créé en 1987).



Pat Nixon (June Anderson), Nixon (Franco Pomponi), Chou En Lai (Kyung Chun Kim) © Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
Nous avons annoncé ici-même le spectacle et écrit tout le bien que nous pensons des œuvres du compositeur américain John Adams. Reste à féliciter l’ensemble de l’équipe artistique pour l’excellente première à laquelle nous avons assisté lundi dernier.

Les choix du théâtre semblaient pertinents, et cela se confirme sur le plateau. Quand le rideau s’ouvre sur des vidéos diffusant les reportages de l’époque, et sur un chœur des officiels chinois attendant l’arrivée des Nixon à l’aéroport, devant un mur gigantesque (signifiant la mise au ban du pays-continent depuis le début de La Longue Marche de Mao en 1949), le spectateur comprend que l’opéra a été compris et magistralement revisité par le metteur en scène sino-américain, Chen Shi-Zheng.

Les Nixon sur leur nacelle, au sortir de l’avion qui les emmène pour une visite diplomatique de trois jours en 1972, "sautent" le mur du pays, en pleine guerre froide. Les enjeux de cette visite furent diversement appréciés selon le côté du mur où l’on se trouvait. Si les Occidentaux n’ont guère encore aujourd’hui un bon souvenir du président Richard Nixon (et ses casseroles du Watergate et du Vietnam), Chen Shi Zheng propose ici le point de vue chinois de l’époque : la gratitude ressentie devant une politique de la main tendue.

Pat Nixon (June Anderson), Nixon (Franco Pomponi), Chou En Lai (Kyung Chun Kim), Henry Kissinger (Peter Sidhom) © Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
Pendant une bonne partie du deuxième acte, des documents de l’époque, projetés sur un énorme lustre-satellite - travail remarquable de l’assistante du metteur en scène, la plasticienne Shilpa Gupta et du vidéaste Olivier Roset - viennent rappeler que cette rencontre entre deux maîtres du monde, sifflant le début de la "détente" entre blocs Est et Ouest, eut un retentissement inouï, et des conséquences incalculables.

Franco Pomponi interprète un Richard Nixon naïf, puéril, un peu mégalo, qui sait qu’il est en train de faire l’Histoire. Mais il est dominé par un Mao vieillissant, sorte de vieux bonze rusé - chanté par le parfait ténor coréen Alfred Kim. Celui-ci donne toute crédibilité au vieux dictateur qui sent la mort approcher, à l’heure du bilan ("Je vieillis, je ramollis" fait froid dans le dos…). Nous avons été nettement séduite cependant par le baryton Kyung Chun Kim qui compose un très grand Zhou Enlaï, premier ministre humain et qui sait qu’il faut assurer le spectacle devant les médias du monde entier.

La visite présidentielle américaine en Chine est l’occasion pour la librettiste Alice Goodman, brillante poétesse, de surprendre des personnages historiques - au delà du show médiatique (Chen Shi Zeng parle de "titanesque chorégraphie") - dans leur intimité, leurs rêveries, leurs doutes, leurs failles. Très bel acte trois où la statue géante d’un Mao de bronze semble écraser les couples "présidentiels" américains et chinois, et le premier ministre. Sur une scène désertée, tous sont plongés dans leur passé, leurs souvenirs bons ou mauvais, dans une relative ténèbre.

De gauche à droite : Alfred Kim (Mao), Franco Pomponi (Richard Nixon), Sophie Leleu, Alexandra Sherman, Rebecca de Pont Davies (les trois secrétaires de Mao) © Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
La musique alors, privilégiant le pupitre des cordes et le piano, atteint au sublime et serre le cœur alors que Zhou Enlaï médite sur la vanité de l’action humaine, dans une scène finale magistrale.

Mais il ne faudrait pas oublier l’acte deux et son stupéfiant ballet donné en l’honneur des Nixon à "la Maison du peuple" : "Le détachement rouge féminin" conçu par Jiang Qing (alias Mme Mao). Tout le talent du jeune metteur en scène éclate alors. Spectaculaire mise en abîme qui se veut aussi une réflexion sur l’art inféodé aux idéologies. Et vrai moment de plaisir du spectateur grâce aux danseurs : c’est bien le spectacle total dont Chen Shi-Zheng s’est fait une spécialité outre-Atlantique, entre cirque, opéra, théâtre et danse.

Le choix d’une esthétique très Pop-Art vient confirmer que "Nixon in China" est déjà un classique, comme la musique de John Adams (même si son langage musical s’affirmera totalement dans "The Death of Klinghoffer"). Musique tout simplement superbe, synthèse des influences d’un John Cage, d’un Steve Reich, mais aussi du jazz et des Big band (avec ses cuivres éclatants de l’acte deux). On savoure une orchestration savante, magnifique qui donne sa chance à tous les pupitres, faisant planer le spectateur dans des paysages musicaux et poétiques très divers, sous la direction du chef Alexander Briger.

N’oublions pas de saluer une June Anderson vocalement parfaite dans le rôle de Pat Nixon, et la soprano Sumi Jo, époustouflante Mme Mao.

"Nixon in China"

Nixon (Franco Pomponi), Pat Nixon (June Anderson) © Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
Opéra en 3 actes et 6 tableaux.
Créé à l'Opéra de Houston le 22 octobre 1987.
Musique : John Adams.
Livret en anglais d’Alice Goodman.
Direction musicale : Alexander Briger.
Mise en scène et chorégraphie : Chen Shi-Zheng.
Décors : Shilpa Gupta.
Costumes : Petra Reinhardt.
Lumières : Alexander Koppelmann.
Vidéaste : Olivier Roset.
Collaboratrice à la chorégraphie : Yin Mei
Orchestre de Chambre de Paris.
Chœur du Châtelet.

© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.
Avec : Franco Pomponi (Richard Nixon), June Anderson (Pat Nixon), Peter Sidhom (Henry Kissinger), Alfred Kim (Mao Zedong), Sumi Jo (Madame Mao : Jiang Qing), Kyung Chun Kim (Chou En-Lai), Sophie Leleu (1ère secrétaire de Mao), Alexandra Sherman (2e secrétaire de Mao), Rebecca de Pont Davies (3e secrétaire de Mao).

Du 10 au 18 avril 2012.
En anglais, surtitré.
Mardi, jeudi, samedi, lundi et mercredi à 20 h.
Théâtre du Châtelet, Paris 1er, 01 40 28 28 40.
>> chatelet-theatre.com

© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet.

Christine Ducq
Vendredi 13 Avril 2012
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