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Mozart et Mahler par l'Orchestre de Paris, entre doute et émotion

Thomas Hengelbrock, chef associé de l'Orchestre de Paris, l'a dirigé il y a quelques jours dans Mozart et Mahler pour deux soirées à la Philharmonie. L'occasion d'assister aux débuts de Nelson Goerner avec l'orchestre. Un pianiste, dont le style a surpris dans le Concerto n° 23 de Mozart, éclipsé par un Orchestre de Paris pourtant manifestement en proie au doute.



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Les programmes de Thomas Hengelbrock, chef associé de l'orchestre depuis 2016, sont toujours originaux, bien pensés et roboratifs. Pour les deux soirées des 28 et 29 mars, il a proposé au public le 23e Concerto pour piano de W. A. Mozart et la 4e symphonie de Gustav Mahler, cette œuvre qui (tel Janus) termine une époque et en ouvre une autre. Atmosphère pastorale ou galante, hédonisme sonore et fêlures secrètes, lyrisme douloureux et sourires mêlés de larmes, faste symphonique, voilà ce qui peut appeler une mise en perspective des deux œuvres.

L'Ouverture de "La Clémence de Titus", opera seria en deux actes, ouvrage d'apparat composé sur commande pour le couronnement de Leopold II (comme roi de Bohême) quelques mois avant la mort de Mozart, les précède le temps pour le chef de s'assurer la cohésion des pupitres dans le plus pur style héroïque avec une vigueur dans la gestique qu'on retrouvera dans la 4e symphonie.

En 1786, Mozart compose un de ses plus beaux concertos pour piano, le 23e inoubliable par le ton de confidence désespéré de l'adagio central, immortalisé pour toute une génération par le génie d'Alfred Brendel dans la bande originale de la série télévisée sur la vie du compositeur (qui fit les beaux jours des années quatre-vingts). Si le tutti d'entrée du premier mouvement révèle des cordes quelque peu fuligineuses et sans moelleux, et un quintette des vents un peu brouillon dans son entrée, très vite les musiciens trouvent leur cohésion et leur voix et prennent l'ascendant dans le dialogue avec Nelson Goerner.

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Le style et les choix de ce dernier, frêle silhouette très penchée sur le clavier de son Steinway, conjuguant toucher (trop) aérien, extrême détachement des motifs et ornementations alanguissant à l'extrême un discours au risque de l'inconsistance et de l'afféterie, étonnent. Le jeu du pianiste est bientôt débordé par l'alacrité et la brillance sonore des cordes soudain très en verve, et surtout par les excellentes interventions des flûte, clarinette et basson solos à l'honneur dans l’œuvre. Même dans le deuxième mouvement du sublime adagio - un andante en fait dont la tonalité en fa dièse majeur est ici plutôt menacée - et dans l'allegro assai ne se dissipera pas l'impression de déséquilibre entre les partenaires.

"L'harmonie supérieure" due à la fusion de deux forces égales (piano et orchestre) dans le dialogue musical, réussite majeure de Mozart dans ses concertos selon Alfred Einstein, ne survient jamais. L'orchestre se taillant la part du lion, même en termes d'émotion. Le bis du pianiste argentin (le Nocturne opus 20 de Chopin) est du même tonneau, virtuose mais falot.

La Symphonie n° 4 en sol majeur de Mahler, composée en deux étés (ceux de 1899 et 1900) après un silence de six ans, est créée à Munich en novembre 1901, précédant paradoxalement de peu la création de la troisième. Les critiques, totalement dépassés, seront dans l'ensemble sévères, en regrettant le "grotesque" et "les dissonances".

Daniel Harding et l'Orchestre de Paris © DR.
C'est pourtant une œuvre magnifique, charnière dans la production malhérienne, et destinée à un gros orchestre (délesté des trombones et tubas), à une soprano solo pour le quatrième mouvement, le fameux lied "Das himmlische Leben" (la vie céleste). Un lied dont le texte est extrait du recueil d'Arnim et Brentano, "des Knaben Wunderhorn". Mahler écrit à son amie, l'altiste Natalie Bauer-Lechner, qu'il a voulu peindre "le bleu uniforme du ciel" mais aussi l'angoisse et "la terreur panique" qui peut étreindre le promeneur dans une "forêt lumineuse". Bref, l'auditeur "ne fer(a) que rire et pleurer".

Comme toujours donc, les sentiments les plus contradictoires, les climats les plus antagonistes traversent une œuvre pastorale (où le roman de l'enfance se fait chant) aux proportions raisonnables (moins d'une heure), aux quatre mouvements traditionnels - car Mahler l'a voulue coulée "dans un moule traditionnel".

En cette soirée du 28 mars, l'orchestre présente plusieurs visages. À de certains moments, il est en retrait (sans beaucoup de reliefs) ou en peine de cohésion (malgré la direction précise et pleine de fougue du chef allemand), par exemple dans le premier mouvement allegro, mais aussi superbe de puissance et de faste dans sa coda - ou dans la danse diabolique du second mouvement.

Paavo Jarvi et l'Orchestre de Paris © J.-B. Pellerin.
La "Vision du paradis" de l'adagio est belle aussi dans un tutti glorieux et l'orchestre se fait peintre religieux dans le dernier mouvement pour un banquet divin de timbres et d'expressivité. Pourtant, à regarder et écouter les musiciens de l'orchestre (dont beaucoup sont très jeunes ce soir-là, au pupitre des cordes en particulier), le compte n'y est pas tout à fait. L'impression d'une soirée en-deçà des capacités de l'orchestre domine, celle aussi que le paradis promis n'a été qu'entrevu.

L'orchestre semble traverser un moment difficile et le doute est peut-être le poison insidieux qui l'empêche de retrouver les sommets qu'on lui a connus - avec cette même symphonie dirigée par le chef Paavo Järvi en 2014 par exemple. Daniel Harding, chef principal, a en effet déclaré qu'il ne reconduirait pas son contrat avec l'orchestre après 2020. Une des raisons invoquées serait l'incapacité de l'orchestre à donner la sonorité et l'identité qu'il souhaite.

Sachant à quelle excellence cette phalange parisienne peut se hisser, ce jugement a de quoi surprendre. Thomas Hengelbrock, malgré sa bienveillance et son art, n'a pas pu totalement lui redonner confiance.

Concert entendu le 28 mars 2018.

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Christine Ducq
Lundi 2 Avril 2018
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