© Baus/La Monnaie De Munt.
Richard Wagner découvre la légende de Lohengrin vers 1840 alors qu'il fait des recherches pour "Tannhäuser" à Paris. S'inspirant d'une épopée anonyme, du "Parzival" d'Eschenbach et des Frères Grimm, il achève le plan du drame en 1845 et l'opéra complet en 1847. Cet "opéra romantique" ("Romantische Oper") en trois actes, dont l'écriture se situe à la croisée du grand œuvre wagnérien, ne sera pas créé à Dresde comme prévu. Le compositeur, actif sur les barricades d'une révolution (avortée) en 1849, doit fuir pour éviter l'arrestation.
La même année, il publie "L'Œuvre d'art de l'Avenir" ("Das Kunstwerk der Zukunft") dans laquelle il explicite son dessein mûri depuis "Le Vaisseau fantôme" : en finir avec le genre de l'opéra à numéros (genre superficiel de distraction) pour élaborer un drame où poésie (le texte) et musique (et les arts de la scène) fusionnent au service d'une haute ambition politique, philosophique et métaphysique - retrempée aux genres perdus de la tragédie grecque et du mystère médiéval.
À Anvers, au bord de l'Escaut au Xe siècle, le Chevalier au Cygne Lohengrin (fils de Parsifal) répond à l'appel de la pure Elsa de Brabant accusée à tort par les forces noires représentées par Ortrud et Friedrich von Telramund d'avoir tué l'héritier du royaume (le duc Gottfried son frère). Un royaume menacé par une invasion que doit repousser le peuple mené par le roi Heinrich der Vogler.
La même année, il publie "L'Œuvre d'art de l'Avenir" ("Das Kunstwerk der Zukunft") dans laquelle il explicite son dessein mûri depuis "Le Vaisseau fantôme" : en finir avec le genre de l'opéra à numéros (genre superficiel de distraction) pour élaborer un drame où poésie (le texte) et musique (et les arts de la scène) fusionnent au service d'une haute ambition politique, philosophique et métaphysique - retrempée aux genres perdus de la tragédie grecque et du mystère médiéval.
À Anvers, au bord de l'Escaut au Xe siècle, le Chevalier au Cygne Lohengrin (fils de Parsifal) répond à l'appel de la pure Elsa de Brabant accusée à tort par les forces noires représentées par Ortrud et Friedrich von Telramund d'avoir tué l'héritier du royaume (le duc Gottfried son frère). Un royaume menacé par une invasion que doit repousser le peuple mené par le roi Heinrich der Vogler.
© Baus/La Monnaie De Munt.
Si Wagner conserve quelques formules de l'opéra traditionnel, il innove en maints endroits tant dans le traitement des modes, des motifs, que dans celui de l'orchestre dont les pupitres sont réunis ou partagés par corps (cordes, vent, cuivres) pour une mélodie (non vraiment continue encore) où les sons se combinent de façon inouïe. Figure de "l'artiste absolu" romantique, ce Lohengrin (qui échoue à trouver sa place parmi les humains) est un autre des doubles du compositeur portés par lui sur la scène ; un rédempteur (incompris) du genre humain à la recherche de l'amour vrai.
Olivier Py a décidé de se saisir de l'œuvre à l'aune des enjeux de notre époque. À une double question récurrente (le romantisme allemand contient-il les germes du national-socialisme ? "Lohengrin" est-il un de ces opéras nationalistes dédiés à la figure du "Erlöser" ?), il répond à partir du poème de Paul Celan ("Todesfuge" cité obsessionnellement dans la production) dans une "Allemagne année zéro" en ruines (où les symboles du romantisme sont meurtris) - jugeant impossible d'en faire une lecture innocente après l'affreuse expérience nazie.
Avant chaque spectacle, Olivier Py va donc monter sur scène pour livrer un plaidoyer pro domo de sa vision : Wagner (l'artiste allemand par excellence) était un fervent antisémite, "Mein Kampf" a été rédigé en 1923 par Hitler dans sa prison sur du papier à en-tête du Festival de Bayreuth offert par la belle-fille de Wagner (Winifred, sympathisante nazie bien connue), entre autres arguments (1). Il explique aussi qu'à la lumière de sa connaissance intime de Wagner - qu'il n'imagine pas une seule seconde proto-nazi - il en est arrivé à penser que "Lohengrin" est un opéra "sur le nationalisme" (et non nationaliste) qui anticipe l'échec du Reich à venir, travaillé par les antagonismes déjà présents dans le romantisme allemand : entre fascination morbide pour la nuit, la mort et quête panthéiste de l'amour donné par miracle.
Olivier Py a décidé de se saisir de l'œuvre à l'aune des enjeux de notre époque. À une double question récurrente (le romantisme allemand contient-il les germes du national-socialisme ? "Lohengrin" est-il un de ces opéras nationalistes dédiés à la figure du "Erlöser" ?), il répond à partir du poème de Paul Celan ("Todesfuge" cité obsessionnellement dans la production) dans une "Allemagne année zéro" en ruines (où les symboles du romantisme sont meurtris) - jugeant impossible d'en faire une lecture innocente après l'affreuse expérience nazie.
Avant chaque spectacle, Olivier Py va donc monter sur scène pour livrer un plaidoyer pro domo de sa vision : Wagner (l'artiste allemand par excellence) était un fervent antisémite, "Mein Kampf" a été rédigé en 1923 par Hitler dans sa prison sur du papier à en-tête du Festival de Bayreuth offert par la belle-fille de Wagner (Winifred, sympathisante nazie bien connue), entre autres arguments (1). Il explique aussi qu'à la lumière de sa connaissance intime de Wagner - qu'il n'imagine pas une seule seconde proto-nazi - il en est arrivé à penser que "Lohengrin" est un opéra "sur le nationalisme" (et non nationaliste) qui anticipe l'échec du Reich à venir, travaillé par les antagonismes déjà présents dans le romantisme allemand : entre fascination morbide pour la nuit, la mort et quête panthéiste de l'amour donné par miracle.
© Baus/La Monnaie De Munt.
Ainsi "der Tod ist ein meister aus Deutschland" (la Mort est une maîtresse d'Allemagne), la formule magistrale du poème de Paul Celan (2) sera-t-elle omniprésente sur les murs d'une sorte de cirque tournant (dévoilant successivement un mur bombardé, une cour royale en ruines ou un temple antique de guingois) en une succession de superbes tableaux ténébreux jouant du conflit (comme les costumes atemporels), du noir et du blanc symbolisant les forces païennes de la guerre et de la mort versus les aspirations chrétiennes à la lumière, à l'amour et à la paix (dichotomie redoublée entre le plateau dévolu à Ortrud et Telramund et une sorte de scène surélevée où se situent Lohengrin et Elsa).
Si quelques tics et choix d'Olivier Py se révèlent au pire superfétatoires (les couronnes en carton que doit enfiler laborieusement Lohengrin pendant son grand air "In Fernem Land", la brouette où le jeune Gottfried allongé traverse la scène), au mieux déjà vus (écrire sur les murs, passer de chambre en chambre au deuxième acte dans l'immeuble où gisent horloge arrêtée, bustes de Beethoven et Goethe (ces stigmates avilis de la culture allemande), ou encore le bel éphèbe demi-nu - dont les poses évoquent il est vrai avec pertinence les statues d'Arno Breker, cet artiste nazi qui a glorifié l'Aryen, fantasmé peut-être à partir de la pensée de Winckelmann au XVIIIe siècle). Avec sa volonté de tout souligner et faire signifier, Olivier Py cède parfois à une certaine agitation, par exemple à la fin de l'acte deux où la musique suspend le temps dans ce qui devrait être une contemplation sublime.
Si quelques tics et choix d'Olivier Py se révèlent au pire superfétatoires (les couronnes en carton que doit enfiler laborieusement Lohengrin pendant son grand air "In Fernem Land", la brouette où le jeune Gottfried allongé traverse la scène), au mieux déjà vus (écrire sur les murs, passer de chambre en chambre au deuxième acte dans l'immeuble où gisent horloge arrêtée, bustes de Beethoven et Goethe (ces stigmates avilis de la culture allemande), ou encore le bel éphèbe demi-nu - dont les poses évoquent il est vrai avec pertinence les statues d'Arno Breker, cet artiste nazi qui a glorifié l'Aryen, fantasmé peut-être à partir de la pensée de Winckelmann au XVIIIe siècle). Avec sa volonté de tout souligner et faire signifier, Olivier Py cède parfois à une certaine agitation, par exemple à la fin de l'acte deux où la musique suspend le temps dans ce qui devrait être une contemplation sublime.
© Baus/La Monnaie De Munt.
Cette lecture s'avère quoi qu'il en soit passionnante et belle, nourrissant une production par ailleurs magnifiée par une distribution vocale et une direction musicale de haut lignage. La révélation en est le ténor américain Eric Cutler dans sa prise de rôle de Lohengrin, un jeune heldentenor déjà qui allie la beauté d'un chant intense et subtil au timbre doré à un souffle et une puissance manifestement sans limites (3). L'Elsa de la soprano Ingela Brimberg délivre une interprétation dans le registre dramatique (4) qui convainc et finit par émouvoir.
L'aisance (un peu problématique au début) dans les passages de registres s'affirmera au fur et à mesure de la soirée. L'Ortrud d'Elena Pankratova est exceptionnelle de noirceur et de charisme dans ce rôle tragique (elle qui fut une Elektra de rêve à Lyon l'an passé). Cette grande wagnérienne, "sauvage prophétesse" venue des profondeurs, ne peut que détruire l'amour et l'aspiration à la paix comme elle mène à sa perte Friedrich von Telramund. Ce dernier, à qui Andrew Foster-Williams donne tout le venimeux voulu, en devient une victime que le baryton-basse britannique rend pathétique à souhait. Gàbor Bretz (Henri l'Oiseleur) et Werner van Mechelen (le Héraut), tous deux débutant dans leurs rôles, sont également formidables.
L'aisance (un peu problématique au début) dans les passages de registres s'affirmera au fur et à mesure de la soirée. L'Ortrud d'Elena Pankratova est exceptionnelle de noirceur et de charisme dans ce rôle tragique (elle qui fut une Elektra de rêve à Lyon l'an passé). Cette grande wagnérienne, "sauvage prophétesse" venue des profondeurs, ne peut que détruire l'amour et l'aspiration à la paix comme elle mène à sa perte Friedrich von Telramund. Ce dernier, à qui Andrew Foster-Williams donne tout le venimeux voulu, en devient une victime que le baryton-basse britannique rend pathétique à souhait. Gàbor Bretz (Henri l'Oiseleur) et Werner van Mechelen (le Héraut), tous deux débutant dans leurs rôles, sont également formidables.
© Baus/La Monnaie De Munt.
De la fosse, Alain Altinoglu nous offre le plus beau "Lohengrin" qui soit, avec un respect et une intelligence de la partition qui ne sont pas si courants (5). Son travail avec l'Orchestre Symphonique de la Monnaie est désormais patent dans l'élaboration d'un discours musical qui touche droit au cœur, et à qui il rend justice en termes de sonorités riches en harmoniques et en chromatismes. La fosse évoque avec un lyrisme exceptionnel tant la nature féerique (frappée de caducité) de Lohengrin que les abîmes d'un arrière-plan barbare.
Elle sait se faire miniaturiste dans les couleurs et les timbres, ciselant les voix secondaires, mais aussi peintre magistral en offrant une texture orchestrale à la dramaturgie tantôt éclatante (les cuivres pour les fanfares dans les loges à l'effet bluffant), tantôt à la grâce incertaine - toujours en de souveraines périodes. Les chœurs (ici tout droit sortis de la tragédie grecque) se révèlent excellents. C'est bien-sûr le fruit d'une complicité étroite avec le chef - non moins profonde que celle qu'Alain Altinoglu a su établir avec son orchestre.
Elle sait se faire miniaturiste dans les couleurs et les timbres, ciselant les voix secondaires, mais aussi peintre magistral en offrant une texture orchestrale à la dramaturgie tantôt éclatante (les cuivres pour les fanfares dans les loges à l'effet bluffant), tantôt à la grâce incertaine - toujours en de souveraines périodes. Les chœurs (ici tout droit sortis de la tragédie grecque) se révèlent excellents. C'est bien-sûr le fruit d'une complicité étroite avec le chef - non moins profonde que celle qu'Alain Altinoglu a su établir avec son orchestre.
© Baus/La Monnaie De Munt.
(1) On ne reviendra pas sur le raisonnement généralement tenu avec parfois de bien fragiles rapports de cause à effet sur ce qui lierait le romantisme et Wagner à l'avènement d'un reich guerrier et génocidaire, mais pourquoi ne pas s'intéresser plus souvent à la figure de Friedelind (la fille de Winifred et de Siegfried Wagner) antinazie convaincue ?
(2) L'avant-dernière strophe de "Todesfuge" (Fugue de Mort) est entièrement écrite sur un mur par le Héraut au début du troisième acte.
(3) Eric Cutler sera Bacchus dans "Ariadne auf Naxos" de Richard Strauss au Festival d'Aix-en-Provence en 2018.
(4) Elle a commencé sa carrière comme mezzo.
(5) Olivier Py déclarait par ailleurs en ce soir de première qu'il avait rarement partagé une telle complicité artistique (et une vraie communion de vues) avec un chef.
Spectacle vu le 19 avril 2018.
(2) L'avant-dernière strophe de "Todesfuge" (Fugue de Mort) est entièrement écrite sur un mur par le Héraut au début du troisième acte.
(3) Eric Cutler sera Bacchus dans "Ariadne auf Naxos" de Richard Strauss au Festival d'Aix-en-Provence en 2018.
(4) Elle a commencé sa carrière comme mezzo.
(5) Olivier Py déclarait par ailleurs en ce soir de première qu'il avait rarement partagé une telle complicité artistique (et une vraie communion de vues) avec un chef.
Spectacle vu le 19 avril 2018.
© Baus/La Monnaie De Munt.
Prochaines dates :
26 et 27 avril 2018 à 18 h.
29 avril 2018 à 15 h.
2 et 4 mai 2018 à 18 h.
6 mai 2018 à 15 h.
Théâtre de La Monnaie/De Munt.
Place de la Monnaie, Bruxelles.
Tél. : +32 (0)2 229 12 11.
>> lamonnaie.be
"Lohengrin" (1850).
Opéra romantique en trois actes.
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883).
Surtitré en français et en flamand.
Durée : 4 h 30 avec deux entractes.
26 et 27 avril 2018 à 18 h.
29 avril 2018 à 15 h.
2 et 4 mai 2018 à 18 h.
6 mai 2018 à 15 h.
Théâtre de La Monnaie/De Munt.
Place de la Monnaie, Bruxelles.
Tél. : +32 (0)2 229 12 11.
>> lamonnaie.be
"Lohengrin" (1850).
Opéra romantique en trois actes.
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883).
Surtitré en français et en flamand.
Durée : 4 h 30 avec deux entractes.