Théâtre

Les serments indiscrets... une forme de naturel qui, dans le rire et la gravité, dépasse les apparences

"Les Serments indiscrets", Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, Seine-Saint-Denis

Il était une fois un monde dans lequel le mariage était obligatoire. Dans "Les Serments indiscrets" de Marivaux, Lucile et Damis, jeunes gens bien élevés, font le serment de lutter contre le modèle qui leur est imposé pourtant par les meilleurs pères du monde. Point de mariage forcé pour eux. Ni au nom de la raison économique, de coutumes et d’ordres reçus ni… de l’émoi sensuel qui les incline pourtant à s’accorder. Ils se mettent à l’épreuve. Déjouent les figures imposées. Dénouent les contradictions. Trouvent leur chemin.



© Anne Nordmann.
Dans cette comédie, Marivaux, avec une ironie tout humoureuse, rappelle opportunément qu’il faut être aimable pour être aimé et que, dans le jeu de l’amour, les femmes ont plus à lutter que les hommes. Optimiste, il laisse espérer que le fils n’aura pas les mêmes défauts que le père et que la sœur cadette profitera de l’expérience de son ainée. Lucide, il sait aussi que cette philosophie du mariage n’est pas forcément comprise par les serviteurs pour lesquels il est un moyen d’acquérir une forme d’aisance.

Christophe Rauck qui met en scène la pièce, immerge le spectateur et ses acteurs dans une forme de fantasmagorie, une merveille de fantaisie qui met en tension le jeu et le décor. Un fin réseau de synesthésies relie les exigences contemporaines de jeunesse, de vitalité aux délicatesses et tact d’un chef d’œuvre du dix-huitième siècle.

© Anne Nordmann.
C’est ainsi que la lueur vacillante de bougies aux branches de nombreux chandeliers épars réchauffe une pénombre qu’un mouvant jeu de rideaux de changements, en tulle et mousseline noire, manipulés à vue à la grecque, à l’italienne, à la française anime continument au rythme de l’action, de ses surprises et ses révélations. Les comédiens paraissent comme caressés par une brise, que ce soit dans les tempêtes ou dans les apaisements du cœur des amoureux.

Tout mouvement de jeu est serti au lointain de clairs de lune, de rêves de pierre de lune, de fragments d’estampes, de gravures, de souvenirs glissants et tremblants de Watteau. Les silhouettes fragiles et gracieuses de l’embarquement pour Cythère ou de l’enseigne de Gersaint sont autant de propositions raffinées d’ombres ou de miroirs offertes, en opportunité, au jeu des acteurs dont les costumes, en tissu à bâtir, cousus de fils blancs ou noirs ne sont encore que des esquisses, l’espérance de jaquettes et de robes.

© Anne Nordmann.
L’action se déroule donc dans l’espace mental des essayages de ce mariage retardé. Moments précieux propices à la frénésie, à l’exaltation des rêves, instants de liberté avant la couturière dont on sait bien qu’il faut savoir, en pouffant de rire, les capter au caméscope.

Le jeu exploite avec bonheur le tempérament de chaque comédien. Chacun repère les fragilités, éprouve les solidités, les vivacités de son personnage. Chacun affirme son style dans la langue précise et élégante que lui propose Marivaux, module les intonations, façonne les élégances. Les comédiens sont tout simplement épatants et chaque réplique est un rebondissement.

© Anne Nordmann.
Il est doux pour le spectateur de ressentir ainsi la concentration, les fractionnements de l’action, les mises à l’épreuve, de voir les entrelacs de la liberté et de l’amour contourner les obstacles, sans qu’aucun anachronisme venant du passé, ou venant du présent, sans qu’aucune mièvrerie de marivaudage* ne vienne perturber la franchise des caractères.

Le spectateur accompagne sans regimber les personnages jusqu’à ce point où la vérité amoureuse émerge comme une évidence contemporaine.

Avec ces serments indiscrets, Christophe Rauck met en œuvre une forme de naturel qui, dans un art consommé de la conversation, dans le rire et la gravité dépasse les apparences. Il y a du Mozart dans ce Marivaux-là.

*Galvaudage de Marivaux.

"Les Serments indiscrets"

© Anne Nordmann.
Texte : Marivaux.
Mise en scène : Christophe Rauck.
Dramaturgie : Leslie Six.
Scénographie : Aurélie Thomas.
Avec : Cécile Garcia Fogel (Lucile), Sabrina Kouroughli (Phénice), Hélène Schwaller (Lisette), Marc Chouppart (Frontin), Pierre-François Garel (Damis), Marc Susini (Ergaste), Alain Trétout (Orgon).
Costumes : Coralie Sanvoisin, assistée de Peggy Sturm.
Lumière : Olivier Oudiou.
Son : David Geffard.
Vidéo : Kristelle Paré.
Durée : 2 h 10.

Spectacle du 15 octobre au 2 décembre 2012.
Du lundi au vendredi à 20 h (relâche le mardi), samedi à 18 h et dimanche à 16 h.
Théâtre Gérard Philipe CDN, Salle Mehmet Ulusoy, Saint-Denis (93), 01 48 13 70 00.
>> theatregerardphilipe.com

© Anne Nordmann.
Reprise : du 4 juin au 15 juin 2014.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 18 h et dimanche à 16 h.
Relâches dimanche 8 et lundi 9 juin.
Théâtre Gérard Philipe CDN, Salle Mehmet Ulusoy, Saint-Denis (93), 01 48 13 70 00.
>> theatregerardphilipe.com

Grand Prix (meilleur spectacle théâtral de l'année) 2012/2013 du Syndicat Professionnel de la Critique de Théâtre, Musique et Danse.

Jean Grapin
Jeudi 25 Octobre 2012
Dans la même rubrique :