Théâtre

Les insoumises... entre intimité, récit et chant

"Les insoumises", La Colline Théâtre national, Paris

Trois pièces composent "Les insoumises" dans lesquelles Isabelle Lafon a réuni Lydia Tchoukovskaïa, Virginia Woolf et Monique Wittig autour d'une discussion, d'un journal raconté et d'un texte chanté. C'est l'intimité des mots qui ouvre sa porte à l'expressivité des sentiments.



"Deux ampoules sur cinq" © DR.
La Colline propose un triptyque théâtral intitulé "Les insoumises" avec trois pièces, "Deux ampoules sur cinq", "Let me try" et "L'Opoponax" autour du thème de la parole, du récit à la confession en passant par la chanson. Les auteurs sont respectivement Lydia Tchoukovskaïa (1907-1996), Virginia Woolf (1882-1941) et Monique Wittig (1935-2003). La relation à l'autre se dessine dans un contexte théâtral où l'intimité déborde vers l'extimité, où la parole finit en chant, où la confession devient récit. C'est la parole abordée dans ses différentes phases, émotions ou forces.

Le spectacle est découpé en trois séquences dans lesquels l'intimité de jeu fait place à une expressivité des sentiments. Le rapport à deux devient à trois entrecoupé de propos quand il finit ensuite par être seul, avec un concert en solo. Dans ce lien à l'autre, la parole fait office d'axe central, d'aiguillon, de pistil autour de pétales d'écoutes et d'échanges.

"Deux ampoules sur cinq" se déroule autour de deux personnages, la grande poétesse russe Anna Akhmatova (1889-1966) (Isabelle Lafon) et la femme de lettres Lydia Tchoukovskaïa (Johanna Korthals Altes). C'est inspiré du journal tenu par Tchoukovskaïa durant les vingt-cinq années où elle a rencontré Akhmatova.

La scène est éclairée par les deux petites lampes portées respectivement par les personnages. À la première rangée, une distribution de lampes a été aussi faite aux spectateurs pour qu'ils décident de choisir l'éclairage à effectuer. Des piles de livres sont sur un bureau devant elles. Elles égrènent des dates. Elles racontent, se racontent, disent et se répondent. Comme une confidence où, à certains moments, Johanna Korthals Altes est dans un jeu un peu "haletant", un peu bousculé dans une sorte d'enthousiasme à dire.

"Deux ampoules sur cinq" © DR.
Isabelle Lafon est, elle, dans un rapport au texte plus cérébral, mais une cérébralité qui se nourrit d'émotion avec un amour des textes et du langage qui fait que son discours devient auréolé d'une certaine gourmandise. Johanna Korthals Altes est dans une relation au texte plus lié au récit, puisqu'elle fait lecture d'un journal dans une retranscription orale d'événements. On est ainsi en face de deux rapports au journal, l'une, essayant de remonter aux sources, l'autre les vivant presque. La qualité de jeu est évidente et celle d'Isabelle Lafon est particulièrement remarquable.

Dans "Let me try", extrait de son journal (1915-1941), Virginia Woolf raconte ses lectures, l'actualité politique, ses écrits, ses pensées. Sur scène, des piles de papiers sont disposées au sol. Les personnages se bousculent dans le récit, intervenant par intermittence. Chacune, avec Marie Piemontese, prend la parole à tour de rôle. La mise en scène montre trois vies, trois femmes dans une cohabitation scénique. C'est le même texte vu au travers de trois regards différents. Elles vivent chacune un événement, un fait, une pensée où chaque "monologue" est entrecoupé par l'intervention d'une protagoniste comme une porte qui s'ouvre, comme un ballon qui est envoyé dans les airs pour rebondir au sol. Le récit de l'une devient celui de l'autre par reflet, par intermittence, presque par effraction.

La troisième pièce, "L'Opoponax", est un concert de paroles chanté par Isabelle Lafon accompagné de la batterie de Timothée Faure. Théâtre et musique sont étroitement liés. C'est drôle et elle mime les différents "états" dans lesquels elle passe. Elle joue, prend du plaisir avec les mots, créant des situations "sémantiques" où le mot devient situation. C'est un concert dans lequel la parole fait chanson et humour. La ligne mélodique est rythmée autant par la batterie que par le chant qui est théâtral et dont la chanteuse montre un talent à jouer les aspects autant musicaux que vocaux alors que la batterie donne du rythme aux propos.

C'est une même ligne dramaturgique qui est suivie, autour de trois textes dissemblables, celle de la parole quand elle est couchée par écrit et vécue à distance, dans l'intimité ou au détour d'un récit.

"Les insoumises"

"Let me try" © Pascal Victor.
D'après Lydia Tchoukovskaïa, Virginia Woolf, Monique Wittig.
Un projet en trois temps d'Isabelle Lafon.
"Deux ampoules sur cinq".
Inspiré de "Notes sur Anna Akhmatova" de Lydia Tchoukovskaïa.
Traduction : Bronislava Steinlucht et Isabelle Lafon.
Adaptation et mise en scène : Isabelle Lafon.
Avec : Isabelle Lafon et Johanna Korthals Altes.
Durée : 1 h 10.

"Let me try".
D'après "le journal 1915-1941" de Virginia Woolf.
Traduction : Michel Venaille.
Mise en scène : Isabelle Lafon.
Assistant à la mise en scène : Marion Canelas.
Avec : Isabelle Lafon, Johanna Korthals Altes et Marie Piemontese.
Lumière et espace scénique : Marion Hewlett avec la collaboration de Patrice Lechevallier.
Costumes : Agathe Mélinand et Nathalie Trouvé.
Durée : 1 h.

"Let me try" © Pascal Victor.
"L'Opoponax"
Texte : Monique Wittig.
Mise en scène : Isabelle Lafon.
Assistant à la mise en scène : Marion Canelas.
Avec : Isabelle Lafon.
Musicien : Timothée Faure à la batterie.
Durée : 50 min.

Du 20 septembre au 20 octobre 2016.
Samedi à 19 h et dimanche à 15 h, les trois spectacles sont proposés en intégrale.
Du mardi au jeudi en alternance : "Deux ampoules sur cinq", le mardi à 20 h, "Let me try", le mercredi à 20 h et "L'Opoponax", le jeudi à 20 h.
La Colline Théâtre national, Petit Théâtre, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

Safidin Alouache
Lundi 10 Octobre 2016
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