© Agathe Poupeney/OnP.
Il est des soirs historiques telle cette entrée au répertoire de l'unique opéra d'Alexandre Borodine, médité et composé pendant vingt ans et pourtant resté inachevé. "Le Prince Igor" au livret inspiré par l'épopée du Prince Igor de Novgorod-Siéviérski, souverain médiéval d'avant l'unification de la Russie, est une de ces œuvres pénétrée de l'âme slave et de la revendication panrusse caractéristique du XIXe siècle. Elle se situe naturellement dans la lignée de l'esthétique voulue par le Groupe des Cinq (1) auquel appartenaient Borodine et Rimski-Korsakov (2).
Grand opéra national donc, mettant en scène de vastes mouvements de foules (avec de nombreuses interventions de chœurs), des personnages historiques, une intrigue politique mais aussi sentimentale et une partition ouverte au folklore comme à la tradition vocale orthodoxe, "Le Prince Igor" se signale aussi par l'exaltation du mariage entre cultures russe et orientalisante - avec ses célèbres danses polovtsiennes (un mariage métaphorisé par celui du fils d'Igor et de la fille du Khan).
Grand opéra national donc, mettant en scène de vastes mouvements de foules (avec de nombreuses interventions de chœurs), des personnages historiques, une intrigue politique mais aussi sentimentale et une partition ouverte au folklore comme à la tradition vocale orthodoxe, "Le Prince Igor" se signale aussi par l'exaltation du mariage entre cultures russe et orientalisante - avec ses célèbres danses polovtsiennes (un mariage métaphorisé par celui du fils d'Igor et de la fille du Khan).
© Agathe Poupeney/OnP.
Le public de l'Opéra de Paris a enfin pu découvrir sur scène une magnifique partition et ce, en dépit d'un livret remanié pour aller au plus fidèle (du projet de Borodine) et au plus court - trois heures quinze de musique quand même. Exit la majeure partie du troisième acte de 1890 (sur quatre) avec les rodomontades du Khan Gzak flanqué de ses guerriers, disparus aussi les scènes de supplication puis de trahison de la Kontchakovna pour les beaux yeux de Vladimir, fils d'Igor, et les débats houleux à la cour du Khan Kontchak après la fuite du prince. L'ouverture est également déplacée au début du troisième (en fait quatrième) acte comme le second monologue d'Igor.
Un pur bonheur d'abord venu de la fosse. Philippe Jordan galvanise son orchestre, le hissant à la hauteur d'un théâtre à la fois lyrique et épique. Par sa vision, il en extrait une matière sonore sombre et lumineuse souvent fascinante. La ferveur, ici, sert autant l'invention mélodique, le riche pouvoir évocateur des climats que la grande variété des contrastes (puissance rythmique des six épisodes des fameuses danses de l'acte II, déplorations et confidences d'Igor et de sa femme Iaroslavna, celles des chœurs - admirables - tour à tour peuple orphelin ou soldats prisonniers, truculence des bouffons). Les chanteurs, quant à eux, transcendent la soirée.
Elena Stikhina apporte sa jeunesse et son éclat au personnage de Iaroslavna. Avec une voix étendue, au beau timbre homogène dans tous les registres, elle montre tour à tour une vraie bravoure lirico spinto et une belle musicalité en interprète sensible et dévouée. Dans le second rôle féminin (hélas raccourci) de Kontchakovna, la mezzo géorgienne Anita Rachvelishvili est proprement fantastique. Dotée d'une voix au volume naturellement dense et ample, à la vocalité solide et incisive (sachant parfaitement jouer de sa raucité parfois), elle livre une interprétation tout simplement splendide. Face à elle, son amoureux, le Vladimir de Pavel Cernoch, use au mieux de ses qualités d'acteur et de ses possibilités vocales (avec un excès de fausset parfois).
Et c'est aussi le festival des grandes basses russes. Ildar Abdrazakov, tel son Boris Godounov sur cette même scène, est un Igor superlatif à la déclamation noble et expressive avec une souplesse, une densité et une ampleur de voix sans défaut. Il se montre capable d'élans sonores impressionnants comme de subtilité, et son charisme royal sert clairement un personnage peu gâté par le metteur en scène. Face à lui, le Khan Kontchak de Dimitry Ivashchenko n'offre pas moins de graves pleins et sonnants, de clairs-obscurs et de prestance.
Un pur bonheur d'abord venu de la fosse. Philippe Jordan galvanise son orchestre, le hissant à la hauteur d'un théâtre à la fois lyrique et épique. Par sa vision, il en extrait une matière sonore sombre et lumineuse souvent fascinante. La ferveur, ici, sert autant l'invention mélodique, le riche pouvoir évocateur des climats que la grande variété des contrastes (puissance rythmique des six épisodes des fameuses danses de l'acte II, déplorations et confidences d'Igor et de sa femme Iaroslavna, celles des chœurs - admirables - tour à tour peuple orphelin ou soldats prisonniers, truculence des bouffons). Les chanteurs, quant à eux, transcendent la soirée.
Elena Stikhina apporte sa jeunesse et son éclat au personnage de Iaroslavna. Avec une voix étendue, au beau timbre homogène dans tous les registres, elle montre tour à tour une vraie bravoure lirico spinto et une belle musicalité en interprète sensible et dévouée. Dans le second rôle féminin (hélas raccourci) de Kontchakovna, la mezzo géorgienne Anita Rachvelishvili est proprement fantastique. Dotée d'une voix au volume naturellement dense et ample, à la vocalité solide et incisive (sachant parfaitement jouer de sa raucité parfois), elle livre une interprétation tout simplement splendide. Face à elle, son amoureux, le Vladimir de Pavel Cernoch, use au mieux de ses qualités d'acteur et de ses possibilités vocales (avec un excès de fausset parfois).
Et c'est aussi le festival des grandes basses russes. Ildar Abdrazakov, tel son Boris Godounov sur cette même scène, est un Igor superlatif à la déclamation noble et expressive avec une souplesse, une densité et une ampleur de voix sans défaut. Il se montre capable d'élans sonores impressionnants comme de subtilité, et son charisme royal sert clairement un personnage peu gâté par le metteur en scène. Face à lui, le Khan Kontchak de Dimitry Ivashchenko n'offre pas moins de graves pleins et sonnants, de clairs-obscurs et de prestance.
© Agathe Poupeney/OnP.
Dmitry Ulyanov, en Prince Galitski, mêle avec équilibre la faconde comique et l'insolence d'un personnage de débauché aux bouffées tyranniques. Ils pimentent tous une mise en scène assez terne, qui contredit constamment le livret et son contenu idéologique. Avec Barrie Kosky, dont c'est le premier travail à l'Opéra de Paris, le Prince Igor n'est plus un héros russe surmontant par amour (y compris patriotique) la honte de la défaite et de l'emprisonnement mais un chef malade, qui déçoit les attentes chimériques de son peuple.
Ce peuple versatile, caché dans les ténèbres du premier (et quasi unique beau) tableau du spectacle, comprend seulement à la fin de l'opéra - en pleine lumière et occupant toute la scène - qu'il doit prendre son destin en mains (en se moquant des oripeaux du Chef guerrier). Les deux déserteurs Skoula et Iérochka (Adam Palka et Andrei Popov vocalement un peu en retrait) se révèlent étonnement les héros de ce final anti-borodinien au possible.
Avec son parti-pris généralisant un propos devenu scie chez nos metteurs en scène (un peuple, des chefs d'état quelconques), ses costumes banals, son décor de villa laide avec piscine, ses soldats en treillis et avec mitraillettes (vu cent fois ailleurs), son morceau d'autoroute au dernier tableau et des exilés devenus très à la mode sur les plateaux (3), l'opéra ne brille guère du lustre attendu. Les ballets (entre danses urbaine et contemporaine) d'Otto Pichler, à tout le moins originaux, ne le desservent pas. Heureusement, les chœurs, les chanteurs et l'orchestre nous offrent magistralement l'épopée et les frissons attendus.
Ce peuple versatile, caché dans les ténèbres du premier (et quasi unique beau) tableau du spectacle, comprend seulement à la fin de l'opéra - en pleine lumière et occupant toute la scène - qu'il doit prendre son destin en mains (en se moquant des oripeaux du Chef guerrier). Les deux déserteurs Skoula et Iérochka (Adam Palka et Andrei Popov vocalement un peu en retrait) se révèlent étonnement les héros de ce final anti-borodinien au possible.
Avec son parti-pris généralisant un propos devenu scie chez nos metteurs en scène (un peuple, des chefs d'état quelconques), ses costumes banals, son décor de villa laide avec piscine, ses soldats en treillis et avec mitraillettes (vu cent fois ailleurs), son morceau d'autoroute au dernier tableau et des exilés devenus très à la mode sur les plateaux (3), l'opéra ne brille guère du lustre attendu. Les ballets (entre danses urbaine et contemporaine) d'Otto Pichler, à tout le moins originaux, ne le desservent pas. Heureusement, les chœurs, les chanteurs et l'orchestre nous offrent magistralement l'épopée et les frissons attendus.
© Agathe Poupeney/OnP.
(1) Le Groupe des Cinq militant pour un art national russe.
(2) Rimski-Korsakov et son élève Glazounov orchestrèrent les parties inachevées de l'opéra et en écrirent d'autres.
(3) La scène d'opéra comme miroir de notre époque ? Oui, mille fois oui, mais à condition que la vision du metteur en scène soit conforme à l'esprit du livret (ce qui n'est absolument pas le cas ici). Barrie Kosky n'a pas tout à fait volé les sifflets dont il a fait les frais lors de la première.
Du 25 novembre au 26 décembre 2019.
Captation en direct dans les cinémas français le 17 décembre 2019.
Sur France Musique le 25 janvier 2020 à 20 h.
Opéra national de Paris.
Place de la Bastille Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr/
"Le Prince Igor" (1890).
Opéra en quatre parties (trois actes).
Musique et livret d'Alexandre Borodine (1834 - 1887).
Livret en russe surtitré en anglais et en français.
Direction musicale : Philippe Jordan.
Mise en scène : Barrie Kosky.
Décors : Rufus Didwiszus.
Costumes : Klaus Bruns.
Lumières : Franck Evin.
Chorégraphie : Otto Pichler.
Chef des Choeurs : José Luis Basso.
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3 h 45 avec un entracte.
(2) Rimski-Korsakov et son élève Glazounov orchestrèrent les parties inachevées de l'opéra et en écrirent d'autres.
(3) La scène d'opéra comme miroir de notre époque ? Oui, mille fois oui, mais à condition que la vision du metteur en scène soit conforme à l'esprit du livret (ce qui n'est absolument pas le cas ici). Barrie Kosky n'a pas tout à fait volé les sifflets dont il a fait les frais lors de la première.
Du 25 novembre au 26 décembre 2019.
Captation en direct dans les cinémas français le 17 décembre 2019.
Sur France Musique le 25 janvier 2020 à 20 h.
Opéra national de Paris.
Place de la Bastille Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr/
"Le Prince Igor" (1890).
Opéra en quatre parties (trois actes).
Musique et livret d'Alexandre Borodine (1834 - 1887).
Livret en russe surtitré en anglais et en français.
Direction musicale : Philippe Jordan.
Mise en scène : Barrie Kosky.
Décors : Rufus Didwiszus.
Costumes : Klaus Bruns.
Lumières : Franck Evin.
Chorégraphie : Otto Pichler.
Chef des Choeurs : José Luis Basso.
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3 h 45 avec un entracte.