Humour

"Le pire premier rencard de l'Histoire" Une comédie au quatuor virevoltant dont l'humanité déborde bien positivement

Corinne et Marc se rencontrent pour la première fois en présentiel après s'être déjà contactés sur un site de rencontres. C'est la femme de Marc, fraîchement ménopausée, qui lui a conseillé de s'inscrire… Ils n'ont pas l'air d'être faits l'un pour l'autre, ces deux-là. D'ailleurs, ils ne semblent même pas savoir exactement ce qu'ils font là, dans ce café. La serveuse et le patron du bar, de leur côté, ont leurs propres problèmes. Le monde et la société aussi. Alors, ça empire…



© B&C Productions.
Est-ce qu'on peut encore rencontrer des gens nouveaux quand tout le monde est en colère ? On aimerait penser que "oui". Mais là, ce n'est pas gagné ! Cela est toujours une prise de risque qui s'avère ici de très grande envergure !

Décidément, la pandémie et les confinements en ont bouleversé bien des choses sur la planète Terre, notamment notre rapport aux autres ! Mais, fort heureusement, ils ont malgré tout favorisé la création et l'enfermement a fait émerger de nouvelles idées chez bon nombre d'artistes.

Ce fut le cas pour Jérémy Manesse qui, de toute évidence, en a eu des idées plein la tête, à ce moment-là. De son tsunami prospectif, une idée majeure a survécu : celle de "notre incommunicabilité croissante concernant les sujets qui fâchent, que ce soit avec nos proches ou avec de parfaits inconnus".

Ainsi, son nouveau spectacle est né avec une idée de base : celle des difficultés de la vie de couple, de sa solidité toute relative au fil du temps qui passe, surtout lorsqu'on est presque cinquantenaires ! Un marronnier, s'il en est.

Mais plusieurs autres petites branches se sont greffées sur ce marronnier du jardin cloisonné de Jérémy Manesse et elles ont fleuri. D'autres concepts tels que le féminisme, la politique, les conflits de générations ou encore l'inaction climatique et l'écoanxiété ont germé petit à petit.

"J'avais en tête l'humeur des pièces de Jaoui et Bacri et, en ligne de mire, l'espoir qu'on arrive à se parler un peu mieux ; et, surtout, que les spectatrices et les spectateurs réfléchissent un peu à tout ça, longtemps après avoir quitté la salle…"

N'est-ce pas là, aussi, un des pouvoirs suprêmes de l'acte théâtral ?! Mais le pari est toujours hasardeux lorsqu'il s'agit de comédie, "cet exercice redoutablement difficile", comme le souligne la metteuse en scène, Ludivine de Chastenet.

© B&C Productions.
Avec sa nouvelle création, la huitième précisément, c'est pourtant un pari largement gagné pour Jérémy Manesse, lui qui est pratiquement né sur les planches du mythique Café de la Gare, que sa propre mère, Catherine Signaux, dite Sotha, a fondé en 1969, son père, Philippe Manesse, en étant le directeur.

Cette nouvelle pièce ne s'inscrit pas exclusivement dans le registre de la comédie, loin de là. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser présager, et en marge aussi du registre plus traditionnel du Café de la Gare auquel nous étions habitués.

Les quatre personnages de la pièce, comme chacune et chacun d'entre nous, ont de nombreux problèmes, de nombreux questionnements tels que l'état de notre pays, la déliquescence de la gauche, l'écologie et la "maison qui brûle", les relations amoureuses compliquées, voire impossibles, le patriarcat, le capitalisme, les attentats potentiels ou bien réels, la famille et son incapacité à s'y dire les choses les plus élémentaires. Bref : ce spectacle virevoltant et attachant est un miroir de notre société actuelle sous tension, fracturée, et ô combien vacillante.

Le personnage de Marc, interprété de mains de maître par Jérémy Manesse lui-même, constitue un solide pilier dramaturgique au spectacle, lequel est remarquablement porté par un texte incisif et taillé au cordeau qui emporte le public comme sur des montagnes russes en ne lui laissant aucun répit.

Les quatre comédiens s'emparent de l'écriture de façon virevoltante, avec brio et de remarquables incarnations. Le tout est finement agencé, divertissant, jouissif. On rit, on sourit, on est attendri, très attentif, ému. On éprouve par moments de la compassion, mais surtout, on réfléchit. On réfléchit beaucoup. À la fois pendant la représentation qui file à toute vitesse et dont on voudrait qu'elle ne s'arrête pas, mais notamment après, tel que le souhaitait l'auteur.

"Le pire premier rencard de l'histoire" est très loin d'être le pire moment que vous passerez au théâtre. La scénographie d'Alix Mercier associée à la mise en scène de Ludivine de Chastenet et à une écriture finement juste et rebondissante constituent, en cette nouvelle année, un réel moment de plaisir théâtral.
À ne rater sous aucun prétexte…
◙ Brigitte Corrigou

Vu le lundi 6 janvier 2025 au Café de la Gare, Paris.

"Le Pire Premier rencard de l'histoire"

Texte : Jérémy Manesse.
Mise en scène : Ludivine de Chastenet.
Avec : Odile Huleux, Laure Haulet, Jérémy Manesse, Florent Aumaître.
Scénographie : Alix Mercier.
Décors : Yohann Chemmoul.
Création sonore : Louen Poppé.
Collaboration musicale : Sarah Manesse.
Durée : 1 h 20.

Du 2 janvier au 29 juin 2025.
Lundi à 19 h 30, mardi, jeudi, vendredi, samedi à 21 h 15 et dimanche à 16 h.
Relâches exceptionnelles les lundis 28 avril et 26 mai et dimanche 15 juin.
Représentations supplémentaires les mercredis 30 avril, 28 mai et le dimanche 8 juin à 20 h.
Café de la Gare, Paris 4e, 01 42 78 52 51.
>> cdlg.org

Brigitte Corrigou
Vendredi 17 Janvier 2025
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