Trib'Une

Le journal d’Anne Frank

La chronique d'Isa-belle L

Je me demande si je ne vais pas m’y remettre. À écrire un journal. Mon journal intime. Je lui donnerai un prénom moi aussi. Il s’appellerait… Je me laisse le temps de la réflexion. Un petit temps d’attente. Ah ! C’est drôle que je parle d’attente parce que justement, hier soir, au théâtre Rive Gauche, se jouait le "Journal d’Anne Frank". Rien à voir vous me direz. Mais si. J’ai cru un moment qu’un pauvre homme, placé non loin de moi, venait assister à une représentation de Knock...



Charlotte Kady (Augusta Van Pels), Katia Miran (Margot Frank), Odile Cohen (Edith Frank), Yann Babilee Keogh (Hermann Van Pels), Yann Goven (Fritz Pfeffer) et Francis Huster (Otto Frank) © Laura Cortès.
Qu’il était là, imaginant s’être assis dans une salle d’attente, payante au demeurant, et qu’il attendait son diagnostic. Posé là, entre tous les (im)patients du théâtre, lui, patientait, pour une ordonnance. Ordonnance pleine à craquer - comme la salle ce soir-là - de médicaments bien puissants pour remédier à cette toux qui lui prenait la gorge, et nous, spectateurs, la tête !

Il crachait une étrange substance. Une "semence gluante" comme l’exprime, à un moment, la comédienne qui interprète Anne Frank. Écœurant non ? J’ai attrapé froid avec tout ça. Il m’a glacé le sang ce patient. Et le souci, c’est qu’on lui aurait bien dit. Mais par le plus grand des hasards, dans le noir il ne toussait plus. Comédie ?

Lumière : Francis Huster : Toux d’enfer ! Super ! Pour les comédiens, surtout.

Qui sait ? Intimidé par l’acteur, ce patient anonyme du théâtre a lâché dans l’arène son immense bonheur. Voir Francis Huster haut en couleurs. Acteur qu’il ne reverra peut-être jamais si sa toux persiste à durer… Pauvre homme ! Je lui souhaite de trouver un remède à la hauteur du journal d’Anne Frank.

Un remède à la hauteur de la jeune comédienne qui interprète Anne Frank avec délice, malice, espièglerie et justesse. Très bien choisie.

Un remède qui guérira ce spectateur d’un soir, comme l’a fait un peu pour son père, cette fille de treize ans à travers son journal. Panser la plaie d’un père en lisant, découvrant sa fille, et oublier, un moment, qu’il a perdu son autre fille, sa femme. Sa famille. Dans les camps.

Un remède à la hauteur du journal qu’a écrit Anne Frank pour soulager son cœur et son esprit. Du haut de ses treize ans.

Le journal d’Anne Frank n’est pas la pièce la plus drôle de la saison mais il y a Charlotte Kady. Et elle nous donne une sacrée leçon de comédie. Casting réussi.

Si j’avais un journal, je l’appellerais : Charlotte. Ça y est ! La fièvre est tombée. C’est qu’il m’a énervée, ce spectateur enragé !

J’ai choisi le nom de mon journal. Qui n’en serait pas vraiment un. Plutôt une page éphémère dédiée à Charlotte Kady, à son talent et son savoir-faire.

"Le journal d'Anne Franck" © Lot.
Dans mon journal, j’ai envie d’écrire que dans la pièce "Le Journal d’Anne Frank" si je devais choisir mon actrice préférée - à la manière d’une écolière qui rêverait d’avoir une meilleure amie - je choisirais Charlotte Kady.

L’écolière n’a rien contre les autres élèves de la classe. Eux aussi ils sont gentils, très bons élèves, doués dans les matières, mais rien à faire. Celle qu’elle veut comme nouvelle amie, c’est Charlotte. En plus elle lui ressemble un peu. Elles ont les mêmes cheveux.

Il y a pléthores d’adjectifs pour Charlotte Kady. Juste, émouvante, drôle, touchante, belle et attachante. Bouleversante. Jusqu’au dernier tableau du spectacle. Une claque.

Dans mon journal je veux dire aussi que Charlotte Kady est une actrice trop rare et que la redécouvrir dans cette pièce fait plaisir à voir.

J’ajoute, et je finis pour ce soir, qu’à chaque fois où le personnage qu’elle interprète - Augusta Van Pels - se retrouve autour de la table pour les maigres repas, elle ajoute aux plats bien fades en ces temps de guerre, un ingrédient de taille : une note sucrée.

Une gourmandise Charlotte Kady. Normal qu’on veuille devenir sa meilleure amie.

C’est l’automne, la grippe nous guette, le rhume nous plombe, l’humeur est grise, la toux est grasse.

Un patient anonyme est passé rue de la Gaité. Il ne voulait pas rire mais simplement se soigner. Il est entré théâtre Rive Gauche, près du quartier Montparnasse. Devant Francis Huster, Charlotte Kady et les autres comédiens, parfaits, eux aussi. Il n’a pas pu retenir sa toux. Tant pis !

C’était désagréable pour les spectateurs et probablement plus pour les acteurs. Il était malade, il aurait eu besoin d’un bon docteur mais il n’est pas sorti.

Qui sait ? Peut-être qu’à la fin de la pièce, il était guéri. Moi, j’ai souri. J’avais l’idée d’écrire un journal pour Charlotte Kady, pleine de grâce.

Je lui offre une demi-page et j’ai tout dit.

"Le journal d’Anne Frank"

Texte : Éric-Emmanuel Schmitt.
D’après "Le journal d’Anne Frank", avec la permission du Fonds Anne Frank (Bâle).
Mise en scène : Steve Suissa.
Avec : Francis Huster, Gaïa Weiss, Roxane Durán, Odile Cohen, Katia Miran, Charlotte Kady, Yann Babilee Keogh, Bertrand Usclat, Yann Goven.
Collaboration artistique : Céline Billès-Izac.
Décors : Stéfanie Jarre.
Lumières : Jérôme Almeras.
Son : Alexandre Lessertisseur.
Costumes: Sylvie Pensa.

Du 5 septembre au 20 décembre 2012.
Du mardi au samedi à 21 h, en matinées samedi et dimanche à 15 h 30.
Théâtre Rive Gauche, Paris 14e, Réservations : 01 43 35 32 31.
>> theatre-rive-gauche.com

Isabelle Lauriou
Mardi 23 Octobre 2012
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