Théâtre

"Le jour où j'ai compris que le ciel était bleu" D'autiste à artiste, il n'y a qu'un R, et un air de chanson

Claire ne le sait pas et son frère, Raphaël, non plus. Même si ce dernier se rend bien compte que sa sœur de 22 ans n'est pas comme les autres. Elle ne l'a jamais été. Elle n'a pas suivi une longue scolarité à cause de cela. Cette solitude qu'elle porte partout où elle est. Cette difficulté à s'intégrer, à se concentrer longtemps sur quelque chose, à fixer son regard. Elle a quitté l'école en troisième et depuis elle n'a pas vécu grand-chose, toujours à la maison.



© Clémence Demesme.
C'est pourquoi Raphaël s'occupe d'elle à chaque instant depuis le décès de leur mère, deux ans auparavant. Il est sa seule famille. Il a réussi à organiser son travail depuis chez eux pour la garder. C'est facile de la garder. Elle passe tout son temps à regarder en boucle une émission de télécrochet, "To Be A Star". Et elle chante. Toute la journée. Elle veut s'inscrire au prochain casting de l'émission. Elle veut, Claire, et ce qu'elle veut est comme une question de vie ou de mort.

Ce que ne sait pas Raphaël, ce qu'il apprendra au cours de la pièce, c'est que Claire est autiste.

Elle souffre également d'une déficience mentale qui fait d'elle une petite fille de 12 ans dans le corps d'une jeune femme de 22 ans. C'est sans doute la raison pour laquelle elle a dû se défendre violemment contre l'agresseur qui voulait abuser d'elle. Elle lui défonce le crâne avec un cendrier en marbre. Il finira dans le coma puis à la morgue. Alors la police, la justice et les institutions s'emparent d'elle.

© Clémence Demesme.
La pièce, écrite et mise en scène par Laura Mariani, va suivre Claire dans ce drame. La scène est séparée en deux espaces : l'un représente la chambre impersonnelle de Claire dans l'institution où elle a été placée et, dans l'autre moitié, un bureau, celui de l'inspectrice de police, de l'avocat puis de la psychiatre. Interrogatoires, entretiens et tests psychologiques vont se succéder en alternance avec des moments de vie que la jeune autiste partage avec son frère et Antoine, un éducateur spécialisé qui s'attache à elle. Mais dans aucun des deux espaces ne règne la paix pour Claire. C'est dans l'imaginaire de son rêve, devenir une star et passer à la télé, que réside sa vraie vie, son exaltation, sa joie.

Presque épique, avec un déroulement qui stimule toujours l'attention, le spectacle ne cesse de tendre les fils invisibles du sensible et de l'émotion. Une émotion portée avant tout par l'interprète de Claire, Pauline Cassan, qui crée un personnage crédible, sans tomber dans la caricature, mais en esquissant délicatement les postures et l'expression qu'ont la plupart des autistes. Au-delà du handicap qu'elle campe parfaitement, c'est surtout le caractère de Claire qui finalement emporte la sympathie, car il n'y a pas de folie ici, il y a surtout une phobie du mensonge et une sincérité cash qui fait mouche et dynamite la plupart des scènes et provoque les rires. On ne fait pas preuve de cette sincérité-là dans les relations sociales normales.

Et c'est bien la question de la normalité qui est le pivot de la pièce. La différence de Claire, principalement dans ses comportements, sera jugée en fin de compte par la justice. Mais aussi par le tribunal populaire médiatique de l'émission télévisée. Et l'on est touché par l'implacabilité que ces forces exercent sur un être plus proche de l'innocence, de la bonne foi et de la sincérité qu'aucun de ses juges. C'est là le joli exploit de cette pièce portée par six interprètes talentueux. Leurs interprétations sobres, presque cinématographiques, donnent du réalisme à toutes les scènes, sans jamais perdre une seconde une belle tension dramatique et une humanité touchante.

"Le jour où j'ai compris que le ciel était bleu"

© Clémence Demesme.
Texte et mise en scène : Laura Mariani.
Avec : Pauline Cassan, Anthony Binet, Sylvain Porcher, Odile Lavie, Alice Suquet et Vincent Remoissenet.
Scénographie : Alissa Maestracci.
Dramaturgie : Floriane Toussaint.
Création sonore et musicale : Romain Mariani.
Création lumière : Romain Antoine.
Production Compagnie La Pièce Montée.
Durée 1 h 20.
À partir de 12 ans.
Spectacle finaliste du Prix Théâtre 13/Jeunes metteurs en scène 2021.

Du 9 au 31 janvier 2022.
Lundi et mardi à 19 h, dimanche à 20 h.
Théâtre Belleville, Paris 11e, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

© Clémence Demesme.
Tournée
19 mai 2022 : Salmanazar, Épernay (51).

Bruno Fougniès
Lundi 24 Janvier 2022
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