Théâtre

La nuit des rois... Un carnaval froid, carnaval serioso qui révèlerait ce qui sommeille

"La nuit des rois", Théâtre de l'Épée de Bois, Paris

Dans "La nuit des rois" une tempête jette sur la grève deux adolescents frère et sœur que le naufrage de leur bateau sépare. Ils débarquent l’un et l’autre dans les parages d’une ville inconnue. Déguisés en valets. Destinées à recomposer.



© Anne Rabaron.
Autour d’eux, en eux, se lèvent les tempêtes de l’amour. Elles assaillent le prince de la ville amoureux de la veuve, amoureuse du valet amoureux du prince et l’intendant amoureux de la veuve, les grands buveurs n’échappent pas au phénomène. Tous étonnés, de la mauvaise farce qui leur est faite par la nature trompeuse. Esprits embrumés, corps raidis par les protocoles et les bienséances... Tous dans le déni déguisent, se déguisent, luttent, s’exaltent de sentiments et désirent.

En mettant en scène, Serge Lipszyc n’hésite pas dans la distribution des rôles à travestir ses comédiens, à les entrainer dans de véritable contre emplois. Le spectateur est envoyé sur des rives inconnues où seul le costume, la fripe identifie le personnage. Comme un carnaval froid, carnaval serioso qui révèlerait ce qui sommeille.

Le théâtre de Serge Lipszyc est un théâtre de travestissement joué sans narcissisme, ni maniérisme, et terrasse l’effet de ridicule avant qu’il n’apparaisse.

© Anne Rabaron.
En effet, le jeu de tous les comédiens, tout en retenue, module et accompagne toutes les inflexions du texte dans son intimité. Ainsi mis en bouche le texte se vaporise, se vocalise en un chant naturel a capella. Toute l’architecture poétique de la pièce est révélée. Ainsi le "canon" des ivrognes prend toute sa saveur et devient surréel. Trop vrai.

Le magnifique chanteur comédien Lionel Muzin (de la troupe des Brigands) révèle même une dimension opératique contemporaine.

D’une drôlerie absolue, il joue le fou, personnage qui est le maitre orchestrateur (à son insu peut être… à son instinct à coup sûr) de ce monde shakespearien à l’acmé de son point de folie.

Tout se dissocie et se réunit dans l’inquiétude et l’outrecuidance des nobles, seuls les gens du peuple, farceurs buveurs, y voient clair ; et, dans la bonhommie, tout est bien qui finit bien... Enfin pour presque tous car toute farce est cruelle.

"La nuit des rois"

Texte : William Shakespeare.
Mise en scène : Serge Lipszyc.
Avec : Bruno Cadillon, Gérard Chabanier, Juliane Corre, Jean-Marc Culiersi, Valérie Durin, Serge Lipszyc, Sylvain Meallet, Lionel Muzin, Henri Payet.
Scénographie : Sandrine Lamblin.
Costumes : Anne Rabaron.
Lumière : Jean-Louis Martineau.
Par la Cie du Matamore.

Du 10 mai au 9 juin 2013.
Du mardi au vendredi à 21 h, samedi à 19 h, dimanche à 16 h.
Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 48 08 39 74.
>> epeedebois.com

Jean Grapin
Jeudi 30 Mai 2013
Dans la même rubrique :