Théâtre

LWA… Théâtral et politique !

C'est une prise de position d'un théâtre qui remonte jusqu'au XVIIIe siècle à la source d'écrits, de harangues et de propos tenus par des révolutionnaires ou des figures artistiques célèbres pour comprendre ce qui a fait la trame d'idées coloniales dévastatrices du genre humain. On y rencontre aussi, dans un aspect plus lumineux et digne, la figure d'hommes courageux qui se sont révoltés avec le fusil ou l'écrit dans un même combat de liberté et d'égalité.



© Christophe Raynaud De Lage.
LWA, 3 lettres qui désignent un esprit de la religion vaudou, appelé aussi "Les Mystères" ou "Les Invisibles". Ils servent d'intermédiaires entre le créateur lointain et les êtres humains. Dans ce spectacle, Camille Bernon et Simon Bourgade nous convient à remonter le cours des idées et de l'Histoire pour comprendre le cheminement de pensées coloniales qui ressurgissent parfois pour alimenter encore aujourd'hui des discours de haine et de mépris.

La pièce débute avec les artistes sur scène déambulant et parlant avec, derrière eux, une vidéo de la révolte des banlieues (2005) après la mort par électrocution de Zyed (Benna) et Bouna (Traoré) suite à une course-poursuite par la police. On voit les manifestations, les heurts, la violence qui en a découlé. C'est un amoncellement de propos par les comédiens dont un, à tour de rôle, devient plus audible que les autres, car porté par un micro. Chacun incarne un personnage.

Ce sont les individus et le groupe qui se font entendre par roulement. Les premiers se détachant du second pour faire corps ensuite avec lui. Puissants ou victimes, gouvernants ou opprimés, les figures, dont certaines célèbres ou anonymes, mais qui ont marqué l'Histoire, défilent durant le spectacle. Nous nous retrouvons comme sur un échiquier social où, à l'opposé des uns et des autres, des personnages se retrouvent au travers d'une identité sociale, artistique, historique, associative ou institutionnelle.

© Christophe Raynaud De Lage.
Puis c'est le discours du président Chirac (1932-2019), incarné par Jackee Toto, suite à ces émeutes, revisité avec humour par un staff composé de deux conseillers (Naïs El Fassi, Souleymane Sylla) qui font attention à taire ce qu'il pourrait dire et penser. Avec humour, composé de "jingles" de la Marseillaise, il se lâche ensuite avec des propositions dites de façon décalée de chèques-vacances et de concerts pour pallier un vide et le manque, social et de considération, subi par les jeunes dans les banlieues. Nous sommes dans une farce politique qui en devient tragique. Amuser le peuple pour qu'il oublie sa colère au sens propre comme figuré.

On y entend aussi, extrait de "Delta Charlie Delta" de Michel Simonot, chaque propos, raciste et plein de préjugés, tenu par les policiers lors de la poursuite des jeunes qui ont donné lieu à la mort de deux d'entre eux. Malgré le refus des médecins, il y a, à l'hôpital, les interrogatoires de la police de Muhittin Altun - alors qu'il est aux urgences -, lui aussi électrocuté, mais ayant eu, par chance, la vie sauve. Puis les propos dignes d'une racaille du ministre de l'Intérieur Sarkozy avec son Kärcher. Ou, au travers de déclarations beaucoup plus louables, l'association ACLEFEU, créée au lendemain de la révolte des banlieues. Dans ce spectacle, c'est la voix des oubliés, des bafoués, de ceux que l'on oppresse - qui contrebalancent celles de puissants et de politiques - qui se fait aussi entendre.

Puis c'est une voix profonde, superbe, celle de Jackee Toto, comme sortie des ténèbres, qui se détache dans l'obscurité et raconte une révolte des noirs contre les envahisseurs blancs, celle de François Mackandal (mort en 1758), meneur de plusieurs rébellions dans le nord-ouest de l'île de Saint Domingue. Il est considéré comme le symbole de la lutte noire anti-esclavagiste, le précurseur de Toussaint Louverture (1743-1803). Une légende entoure le personnage et ce qui est rendu sur scène est cette profondeur venue d'ailleurs, d'un passé qui ressurgit et qui rappelle la lutte, le combat d'hommes dignes et courageux pour leur liberté.

© Christophe Raynaud De Lage.
Cette création donne la parole à ceux qui ne se sont pas tus et qu'on tue, assassine, moleste ou bafoue. À ceux qui ont lutté, brisé le carcan colonial de la violence et du rejet. À ces oubliés, parfois de l'Histoire, qui rappellent la grandeur de l'esprit humain et du courage tel que Mackandal. À ceux qui, en plus de leur courage, tel Frantz Fanon (1925-1961), manie leur intelligence à décrypter le colonialisme, au travers, entre autres, de la psychologie, pour comprendre cette haine et cette violence et qui savent manier poésie, philosophie et combat.

Avec Fanon, c'est l'esprit qui finit par prendre le fusil. On le retrouve à son bureau, incarné par Salomé Ayache, superbe dans ses combats anticoloniaux lors de la guerre d'Algérie au travers de ses écrits. On y redécouvre, oralement, la lettre qu'il a envoyée au ministre résident de l'Algérie, Robert Lacoste (1898-1989), pour donner sa démission, le 26 novembre 1956, de son poste de l'hôpital de Blida-Joinville.

On y entend aussi des révolutionnaires de 1789 tel l'abbé Grégoire (1750-1831), des colons de tout poil tenir des propos d'une violence et d'un mépris d'un autre âge, celui d'un temps où le noir et le bronzé étaient des couleurs où l'asservissement n'en était que le reflet. On entend aussi quelques figures étonnantes comme celle de Victor Hugo (1802-1885) - interprété par Ahmed Hammadi Chassin -, dans son "Discours sur l'Afrique" (1879), tenir des propos de colonisateur, décrivant l'Afrique comme une seule et même terre avec sa sauvagerie de peuple d'un autre âge à prendre et à amadouer pour faire que le progrès ne soit plus freiné par des peuples sans histoire.

© Christophe Raynaud De Lage.
Une véritable ode aux massacres. Cruelle et bête ignorance d'un homme aux qualités d'esprit pourtant multiples, reflet d'une époque où l'ouverture d'esprit vers un ailleurs ne se prêtait pas à la tolérance. Sarkozy, dans son discours de Dakar (26 juillet 2007), semble s'être inspiré en partie, sous la plume d'Henri Guaino, de quelques phrases de l'écrivain. Propos d'une autre époque qui charriait un mépris sans nom pour ceux qui n'étaient ni blancs ni européens. Triste spectacle d'une bêtise revendiquant des vues coloniales passéistes alimentant son cortège de racisme.

La représentation est dans une dynamique très vive. Cela court aussi en cercle avec les artistes qui jettent, de façon synchronisée, leurs deux mains vers le sol pour être ensuite remontés vers les troncs. C'est beau et rythmé. C'est un théâtre qui dénonce et qui revendique. Le corps et la voix, l'esprit et la lettre, le mépris et la lutte, tout est lié comme le miroir inversé de l'un à l'autre. C'est dans cette construction autant historique que littéraire et théâtrale que la danse fait quelques jolis tours sur scène. Un très beau spectacle, instructif et jouisseur de revendications !

"LWA"

D'après des récits d'esclaves, les écrits de Frantz Fanon, "Delta Charlie Delta" de Michel Simonot et les Cahiers de doléances recueillis par le Collectif ACLEFEU.
Conception et mise en scène : Camille Bernon et Simon Bourgade.
Stagiaire mise en scène : Héloïse Janjaud.
Collaboration artistique et jeu : Salomé Ayache, Naïs El Fassi, Ahmed Hammadi Chassin, Benedicte Mbemba, Souleymane Sylla, Jackee Toto.
Scénographie : Benjamin Gabrié.
Son : Vassili Bertrand en alternance avec Quentin Hilaire.
Lumière : Coralie Pacreau.
Vidéo : José Gherrak.
Costumes : Gwladys Duthil.
Par la Cie Mauvais Sang.
À partir de 15 ans.
Durée : 1 h 50.

Du 17 novembre au 3 décembre 2022.
Mardi, mercredi, jeudi et samedi à 20 h, vendredi à 19 h et dimanche à 15 h 30.
Théâtre Paris-Villette, Grande Salle, Pais 19e, 01 40 03 74 20.
>> theatre-paris-villette.fr

Tournée
13 et 14 décembre 2022 : Espace des arts - Scène nationale, Chalon sur Saône (71).
28 janvier 2023 Le Théâtre de Rungis, Rungis (94).

Safidin Alouache
Lundi 28 Novembre 2022
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