© Christophe Raynaud de Lage.
Grand, débonnaire et porteur d'une remarquable barbe rousse - c'est pour le rôle de "George Dandin" - Jérôme Pouly nous accueille avec la simplicité bienveillante et le panache d'un Aïrolo (1). Quand il entre dans un espace, il en modifie significativement les lignes et les équilibres. C'est ce qu'on appelle le charisme. Il nous invite à visiter les coulisses de la Comédie-Française avant l'interview. La troupe de la vénérable maison, vraie ruche bruissante (son emblème) pour les ultimes répétitions de "La Mer" d'Edward Bond, l'interpelle en tous lieux joyeusement - comédiens, techniciens et habilleuses. Un peu comme un roi, un peu comme un camarade - la devise de la Maison de Molière n'est-elle pas "Simul et singulis" (2) ?
C'est dans sa loge quelque peu spartiate mais très ensoleillée en cet après-midi de mars que nous échangeons à bâtons rompus sur sa carrière au Français et ailleurs, sur le fonctionnement de la troupe mythique. Et du choix de sa loge justement, calme et un peu excentrée à un étage haut de la maison, "Un endroit de travail, de concentration et de repos indispensable". Le comédien y prépare ses rôles, seulement bercé par les rires des enfants jouant au milieu des colonnes de Buren. Chaque Comédien Français joue en moyenne cinq à sept pièces par an (chiffre à diviser par quatre ailleurs), une soixantaine de pensionnaires et sociétaires se partageant rôles premiers ou secondaires à un rythme soutenu.
C'est dans sa loge quelque peu spartiate mais très ensoleillée en cet après-midi de mars que nous échangeons à bâtons rompus sur sa carrière au Français et ailleurs, sur le fonctionnement de la troupe mythique. Et du choix de sa loge justement, calme et un peu excentrée à un étage haut de la maison, "Un endroit de travail, de concentration et de repos indispensable". Le comédien y prépare ses rôles, seulement bercé par les rires des enfants jouant au milieu des colonnes de Buren. Chaque Comédien Français joue en moyenne cinq à sept pièces par an (chiffre à diviser par quatre ailleurs), une soixantaine de pensionnaires et sociétaires se partageant rôles premiers ou secondaires à un rythme soutenu.
© Stéphane Lavoué/Collection Comédie-Française.
Christine Ducq - Comment fait-on en terme d'énergie quand on est un Comédien-Français ?
Jérôme Pouly - C'est un exercice formidable et une hygiène de vie. Nous savons que parfois, pendant trois mois, nous allons jouer deux spectacles, sans compter les répétitions. Il faut donc se ménager, aller prendre l'air. Parfois nous ne jouons qu'une pièce et c'est alors le moment de se ressourcer.
Depuis quand êtes-vous sociétaire ?
Jérôme Pouly - Je suis entré au Français comme pensionnaire en 1998 et j'ai été élu sociétaire (3) en 2004 sur proposition de la Société des Comédiens-Français - avec l'habituel contrat de cinq ans renouvelable. Ce qui permet de s'inscrire de façon durable dans l'institution.
Cela vous traverse-t-il l'esprit parfois de quitter cette belle maison ?
Jérôme Pouly - Oui, naturellement. Nous y pensons tous et c'est sain. Le principe, c'est que nous pouvons être remerciés ou nous pouvons vouloir partir. Je ne refuse pas cette possibilité, même si je me sens très bien ici pour le moment. D'autant plus que quitter la Comédie-Française, c'est renoncer à un environnement artistique très riche où nous n'avons qu'à nous préoccuper de nos rôles. Renoncer peut-être à jouer Shakespeare ou Molière et renoncer à travailler avec des metteurs en scène de la trempe d'un Anatoli Vassiliev ou d'un Jacques Lassalle - des monstres du théâtre - n'est pas évident. Un jour, j'aurais peut-être d'autres aspirations et j'irai vers d'autres formes de théâtre - même si la Comédie-Française est désormais ouverte à de nombreuses esthétiques très variées.
Comment êtes-vous choisi pour tel rôle et telle pièce ? Par exemple, pour "George Dandin" que vous jouez actuellement ?
Jérôme Pouly - J'avais déjà travaillé avec Hervé Pierre et nous nous étions découverts. Quand il a lu "George Dandin", il s'est complètement retrouvé dans son personnage principal, du fait de ses origines et de son parcours. Il ne voulait la monter qu'avec moi car il m'avait immédiatement vu dans le personnage. Cela lui a pris deux ans.
Jérôme Pouly - C'est un exercice formidable et une hygiène de vie. Nous savons que parfois, pendant trois mois, nous allons jouer deux spectacles, sans compter les répétitions. Il faut donc se ménager, aller prendre l'air. Parfois nous ne jouons qu'une pièce et c'est alors le moment de se ressourcer.
Depuis quand êtes-vous sociétaire ?
Jérôme Pouly - Je suis entré au Français comme pensionnaire en 1998 et j'ai été élu sociétaire (3) en 2004 sur proposition de la Société des Comédiens-Français - avec l'habituel contrat de cinq ans renouvelable. Ce qui permet de s'inscrire de façon durable dans l'institution.
Cela vous traverse-t-il l'esprit parfois de quitter cette belle maison ?
Jérôme Pouly - Oui, naturellement. Nous y pensons tous et c'est sain. Le principe, c'est que nous pouvons être remerciés ou nous pouvons vouloir partir. Je ne refuse pas cette possibilité, même si je me sens très bien ici pour le moment. D'autant plus que quitter la Comédie-Française, c'est renoncer à un environnement artistique très riche où nous n'avons qu'à nous préoccuper de nos rôles. Renoncer peut-être à jouer Shakespeare ou Molière et renoncer à travailler avec des metteurs en scène de la trempe d'un Anatoli Vassiliev ou d'un Jacques Lassalle - des monstres du théâtre - n'est pas évident. Un jour, j'aurais peut-être d'autres aspirations et j'irai vers d'autres formes de théâtre - même si la Comédie-Française est désormais ouverte à de nombreuses esthétiques très variées.
Comment êtes-vous choisi pour tel rôle et telle pièce ? Par exemple, pour "George Dandin" que vous jouez actuellement ?
Jérôme Pouly - J'avais déjà travaillé avec Hervé Pierre et nous nous étions découverts. Quand il a lu "George Dandin", il s'est complètement retrouvé dans son personnage principal, du fait de ses origines et de son parcours. Il ne voulait la monter qu'avec moi car il m'avait immédiatement vu dans le personnage. Cela lui a pris deux ans.
© Christophe Raynaud de Lage.
En général, de nombreux metteurs en scène connaissent bien la troupe, qui est forte et riche. Ils savent souvent qui ils veulent engager. Si ce n'est pas le cas, ils peuvent venir nous voir jouer dans les spectacles en cours ou visionner les DVD des pièces, puisqu'elles sont toutes filmées à la Comédie-Française.
L'Administrateur doit par ailleurs tenter de trouver un équilibre de troupe - et c'est compliqué. Tout le monde a priori est amené à jouer de forts et beaux rôles. Mais certains acteurs sont plus médiatiques que d'autres et peuvent être plus souvent choisis - même si tous dans cette maison sont excellents.
Quel est votre programme pour les mois à venir ?
Jérôme Pouly - Je joue, outre "George Dandin", dans "Cyrano de Bergerac", "Un Fil à la patte" et "Un Chapeau de paille d'Italie". "George Dandin" me prend quasiment six mois du fait de la tournée (qui s'achève, NDLR) et de sa reprise en mai au Vieux Colombier. Comme nous jouons à la suite de "George Dandin", "La Jalousie du Barbouillé", j'ai la chance d'avoir deux rôles-titres avec la responsabilité que suppose la conduite d'un spectacle de deux heures.
Cependant les rôles secondaires permettent de respirer et c'est excellent pour l'humilité de l'acteur ! Cela crée un magnifique équilibre car nous sommes amenés à donner seulement un petit trait de pinceau ou par moment à venir remplir la toile.
L'Administrateur doit par ailleurs tenter de trouver un équilibre de troupe - et c'est compliqué. Tout le monde a priori est amené à jouer de forts et beaux rôles. Mais certains acteurs sont plus médiatiques que d'autres et peuvent être plus souvent choisis - même si tous dans cette maison sont excellents.
Quel est votre programme pour les mois à venir ?
Jérôme Pouly - Je joue, outre "George Dandin", dans "Cyrano de Bergerac", "Un Fil à la patte" et "Un Chapeau de paille d'Italie". "George Dandin" me prend quasiment six mois du fait de la tournée (qui s'achève, NDLR) et de sa reprise en mai au Vieux Colombier. Comme nous jouons à la suite de "George Dandin", "La Jalousie du Barbouillé", j'ai la chance d'avoir deux rôles-titres avec la responsabilité que suppose la conduite d'un spectacle de deux heures.
Cependant les rôles secondaires permettent de respirer et c'est excellent pour l'humilité de l'acteur ! Cela crée un magnifique équilibre car nous sommes amenés à donner seulement un petit trait de pinceau ou par moment à venir remplir la toile.
© Lot.
Votre "George Dandin" n'est pas si comique que cela, n'est-ce pas ?
Jérôme Pouly - Non, il est sombre. C'est pour cette raison que nous jouons juste après, "La Jalousie du Barbouillé", une farce qui est le troisième acte de "George Dandin" - sa genèse en fait, écrite vingt ans plus tôt par Molière. Au XVIIe siècle, "George Dandin" était considéré comme une farce puisque la figure d'un paysan parvenu était hautement improbable. Ce n'est plus le cas de nos jours et la farce est moins lisible. Imaginons qu'il s'agit d'un vigneron du Bordelais. Les procédés comiques molièresques sont toujours là mais ce que vit mon personnage - le fait d'avoir acheté une femme noble désargentée comme on achète du bétail - et le fait qu'il soit trompé ne le fait pas du tout rire. C'est un drame social et amoureux qui l'amène au suicide - il parle à la fin d'aller "se jeter dans l'eau la tête la première". Avec Hervé Pierre, nous sommes persuadés qu'il va mourir après le baisser de rideau.
Nous sommes bien dans une comédie "dramatique". Le fait de jouer ensuite "La Jalousie" avec ses lazzi façon commedia dell'arte et de réunir ainsi ces deux pièces permet au spectateur de prendre conscience du drame après coup, dans une sorte d'effet miroir. Il se rend compte que "Le Barbouillé" commence exactement comme le troisième acte de "George Dandin" mais dans un autre registre. L'identification est évidente.
Que ressentez-vous sur un plateau ? Pourquoi s'obliger à monter sur scène ?
Jérôme Pouly - Je me pose parfois la question, avec ce trac toujours incroyable ! Ce qui me plaît, c'est le collectif, la troupe - et voilà pourquoi je suis à ma place dans cette maison. Nous sommes là pour faire avancer la société - et nous-mêmes - grâce à ces auteurs qui sont des penseurs géniaux.
C'est ce que vous avez voulu dire, je vous cite "Un comédien est un artisan de sa propre humanité" ?
Jérôme Pouly - Exactement. Je n'ai pas fait d'études (4) donc je me suis nourri des auteurs. Ma vie, la réflexion que je peux avoir sur elle, s'enrichit de tous ces rôles et des œuvres.
Jérôme Pouly - Non, il est sombre. C'est pour cette raison que nous jouons juste après, "La Jalousie du Barbouillé", une farce qui est le troisième acte de "George Dandin" - sa genèse en fait, écrite vingt ans plus tôt par Molière. Au XVIIe siècle, "George Dandin" était considéré comme une farce puisque la figure d'un paysan parvenu était hautement improbable. Ce n'est plus le cas de nos jours et la farce est moins lisible. Imaginons qu'il s'agit d'un vigneron du Bordelais. Les procédés comiques molièresques sont toujours là mais ce que vit mon personnage - le fait d'avoir acheté une femme noble désargentée comme on achète du bétail - et le fait qu'il soit trompé ne le fait pas du tout rire. C'est un drame social et amoureux qui l'amène au suicide - il parle à la fin d'aller "se jeter dans l'eau la tête la première". Avec Hervé Pierre, nous sommes persuadés qu'il va mourir après le baisser de rideau.
Nous sommes bien dans une comédie "dramatique". Le fait de jouer ensuite "La Jalousie" avec ses lazzi façon commedia dell'arte et de réunir ainsi ces deux pièces permet au spectateur de prendre conscience du drame après coup, dans une sorte d'effet miroir. Il se rend compte que "Le Barbouillé" commence exactement comme le troisième acte de "George Dandin" mais dans un autre registre. L'identification est évidente.
Que ressentez-vous sur un plateau ? Pourquoi s'obliger à monter sur scène ?
Jérôme Pouly - Je me pose parfois la question, avec ce trac toujours incroyable ! Ce qui me plaît, c'est le collectif, la troupe - et voilà pourquoi je suis à ma place dans cette maison. Nous sommes là pour faire avancer la société - et nous-mêmes - grâce à ces auteurs qui sont des penseurs géniaux.
C'est ce que vous avez voulu dire, je vous cite "Un comédien est un artisan de sa propre humanité" ?
Jérôme Pouly - Exactement. Je n'ai pas fait d'études (4) donc je me suis nourri des auteurs. Ma vie, la réflexion que je peux avoir sur elle, s'enrichit de tous ces rôles et des œuvres.
© Lot.
(1) Aïrolo est le personnage principal de "Mangeront-ils ?" de Victor Hugo, un de ses rôles fétiches, qu'il a joué dans la production de Laurent Pelly au Théâtre national de Toulouse.
(2) "Simul et singulis" : être ensemble et être soi-même.
(3) Un pensionnaire, coopté par un des Comédiens-Français, a un contrat renouvelable d'un an. Les sociétaires, représentés par le Comité de la Société des Comédiens-Français (huit membres différents élus chaque année), participent activement aux décisions juridiques et artistiques de la maison.
(4) Jérôme Pouly, après avoir intégré pour trois ans la Classe Libre du Cours Florent (les connaisseurs apprécieront), a intégré le Conservatoire national d'art dramatique, après l'École nationale des arts et techniques du spectacle (ex Rue Blanche).
Interview réalisée le 3 mars 2016.
(2) "Simul et singulis" : être ensemble et être soi-même.
(3) Un pensionnaire, coopté par un des Comédiens-Français, a un contrat renouvelable d'un an. Les sociétaires, représentés par le Comité de la Société des Comédiens-Français (huit membres différents élus chaque année), participent activement aux décisions juridiques et artistiques de la maison.
(4) Jérôme Pouly, après avoir intégré pour trois ans la Classe Libre du Cours Florent (les connaisseurs apprécieront), a intégré le Conservatoire national d'art dramatique, après l'École nationale des arts et techniques du spectacle (ex Rue Blanche).
Interview réalisée le 3 mars 2016.
"George Dandin ou le Mari confondu" (1668)
© Christophe Raynaud de Lage.
Suivi de "La Jalousie du Barbouillé".
Textes : Molière.
Mise en scène : Hervé Pierre.
Scénographie et costumes : Éric Ruf.
Lumières : Christian Dubet.
Musique originale : Vincent Leterme.
Travail chorégraphique : Cécile Bon.
Avec : Jérôme Pouly, Simon Eine, Catherine Sauval, Thierry Hancisse, Noam Morgensztern, Claire de La Rüe du Can, Pauline Mérenze.
20 mars 2016 : Le Reflet, Théâtre de Vevey, Vevey (Suisse).
30 mars 2016 : Théâtre Quintaou, Anglet (64).
Du 18 mai au 26 juin 2016.
Mardi à 19 h, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h.
Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6e, 01 44 58 15 15.
>> comedie-francaise.fr
Textes : Molière.
Mise en scène : Hervé Pierre.
Scénographie et costumes : Éric Ruf.
Lumières : Christian Dubet.
Musique originale : Vincent Leterme.
Travail chorégraphique : Cécile Bon.
Avec : Jérôme Pouly, Simon Eine, Catherine Sauval, Thierry Hancisse, Noam Morgensztern, Claire de La Rüe du Can, Pauline Mérenze.
20 mars 2016 : Le Reflet, Théâtre de Vevey, Vevey (Suisse).
30 mars 2016 : Théâtre Quintaou, Anglet (64).
Du 18 mai au 26 juin 2016.
Mardi à 19 h, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h.
Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6e, 01 44 58 15 15.
>> comedie-francaise.fr