Théâtre

Instants Critiques... Un cinéma néo paradiso

"Instants Critiques", Théâtre 71, Malakoff, Hauts-de-Seine

Jean Louis Bory et Georges Charensol étaient critiques de cinéma ;
Du duo, ils avaient la complicité, la complémentarité : chacun son rôle ;
Du duel, ils avaient le combat franc, sans merci, les passes d’armes : chacun sa botte.



Olivier Saladin et Olivier Broche @ Manuelle Toussaint.
Ils étaient les duettistes de légende de l'émission radiophonique "Le Masque et de La Plume" : le moderne et l’ancien. Comme d’autres de la cape et de l’épée, ils ferraillaient dans les années soixante-soixante-dix à l’antenne de la radio France Inter, opposant leurs points de vue sur le cinéma. Commentant les sorties des dernières créations de Godard, Truffaut, Pasolini, Ferreri, Berri, etc. Acteurs, objets de grands conflits homériques. Flamboyant jusqu’à la mauvaise foi. Théâtraux comme on dit communément.

Depuis, tel film provocateur est devenu classique, tel événement du moment est bien oublié, tel navet est devenu mythique, tel chef d’œuvre l’est resté. Une forme de distance liée au temps, à l’effacement progressif des références, à la stabilisation des valeurs s’est installée.

Sur la scène du théâtre dans "Instants Critiques", François Morel fait examiner les deux critiques à forts caractères par des doubles attentifs : les comédiens Olivier Broche (Jean-Louis Bory) Olivier Saladin (Georges Charensol). L’un insuffle le récit, rêve le monde l’exalte. L’autre décrit la sensation qu’il ressent, le poids d’un ennui. Deux façons d’investir le souvenir. Jean-Louis Bory et Georges Charensol sont rendus de manière sensible et tempérée. Fondus dans une image légèrement estompée. De bien belle manière. Comme les séquences sont magnifiquement encadrées et servies par les interventions musicales et chantées de Lucrèce Sassella (qui donne le La de l’époque) quelque chose comme une opération vintage est réussie.

Olivier Saladin, Lucrèce Sassella et Olivier Broche @ Manuelle Toussaint.
C’est ainsi que les deux critiques ne sont pas surpris au feu de leurs micros. Ils sont pris en quelque sorte à la dérobée quittant la salle de projection aux fauteuils vides, épars. Tout juste après le silence qui suit le mot "fin", ils échangent des avis (qui sont des retranscriptions d’émissions) pour fixer le souvenir. Un sas avant de rentrer chacun chez soi. Instant pacifié.

Olivier Broche et Olivier Saladin ont quelque chose du physique des deux ancêtres. Ils appuient un peu les ridicules de leurs modèles, rendent leur côté un peu étriqué. Par scrutations et apprivoisement successifs, la passion émouvante et simplement humaine qui les animait est restituée, avec justesse. Les deux compères radiophoniques apparaissent sans grimage avec leur goût de la beauté et de la sincérité. De manière troublante entre les comédiens et les critiques se révèle un amour commun. Tellement fort que leurs êtres, pour le spectateur, fusionnent dans l’image des films dont ils sont nourris et dont, au présent de l’effet théâtre, le spectateur partage la chaleur et le réconfort.

Dans la puissance d’un rêve, d’une transfiguration, Jean-Louis Bory et Georges Charensol sont deux orphelins plongés dans les lumières de la ville qui se réchauffent à la simple énonciation du nom des actrices et des réalisateurs.

"Ah la beauté d’Anna Karina vue par Godard !". Ou comment vivre le cinéma par le rêve .

"Instant Critiques" donne l’envie de voir ou revoir tous les films vus par Jean-Louis Bory et Georges Charensol. Un cinéma néo paradiso.

"Instants critiques"

Olivier Saladin et Olivier Broche @ Manuelle Toussaint.
(Vu le 4 octobre 2011)
Spectacle de François Morel.
D'après les échanges entre Georges Charensol et Jean-Louis Bory à l'émission radiophonique "Le Masque et La Plume" sur France Inter.
Mise en scène : François Morel.
Adaptation : François Morel et Olivier Broche.
Collaboration artistique : Christine Patry.
Avec : Olivier Broche, Olivier Saladin et Lucrèce Sassella.
Décor : Édouard Laug.
Lumière : Gaëlle de Malglaive, assistée d'Alain Paradis.
Costumes : Christine Patry et Pascale Bordet.
Chorégraphie : Lionel Ménard.

Spectacle du 4 au 23 octobre 2011.
Mercredi, vendredi et samedi à 20 h 30, mercredi et jeudi à 19 h 30, dimanche à 16 h (relâche le dimanche 9).
Théâtre 71, Malakoff (92), 01 55 48 91 00.

Puis en tournée :
3 et 4 novembre : Théâtre Jean Vilar, Montpellier.
9 novembre : Le Manège, Feignies via Maubeuge.
15 novembre : L'Avant-Scène, Cognac.
17 novembre : Théâtre Olympia, Arcachon.
22 novembre : Esplanade du Lac, Divonne-les-Bains.
23 au 25 novembre : Théâtre du Vellein, Villefontaine.
1er et 2 décembre : Auditorium de la Maison de la Culture (scène nationale), Bourges.
6 décembre : L'Hectare (scène conventionnée), Vendôme.
9 décembre : Théâtres, Ermont-sur-Scène, Ermont.
16 et 17 décembre : Théâtre des Salins (scène nationale), Martigues.
10 et 11 janvier 2012 : Le Rive Gauche, Saint-Étienne-du-Rouvray.

Jean Grapin
Vendredi 7 Octobre 2011
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