© Christophe Raynaud de Lage.
Tout de noir vêtue, tête encagoulée, la comédienne s'échauffe à la manière d'une joggeuse, activité qu'elle pratique assidûment. En effet, quand on est une cinquantenaire engagée dans un pays hautement corrompu et déchiré religieusement, que l'on a cru au fol espoir de la révolution d'octobre 2019, illusions vite interrompues par l'explosion d'août 2020 ayant détruit des quartiers entiers de Beyrouth, il vaut mieux entretenir sa forme… Pour compléter son "entrainement", un exercice de diction l'amène facétieusement à articuler des mots politiquement incorrects, comme pour signifier d'emblée qu'il s'agira bien là d'une "pièce illégitime, bâtarde" hors des clous normés de la culture officielle libanaise.
"Je suis la femme voilée, cool, mariée"… Invitant un homme choisi au hasard dans le public à lui maintenir fermement les pieds (acte iconoclaste) afin qu'elle puisse pratiquer en tout confort ses exercices physiques, déclenchant à l'occasion des sensations localisées dans une zone intime, elle raconte ses courses à Beyrouth… Des parcours émaillés d'anecdotes scatologiques, ainsi lorsqu'une fiente de pigeon vient à s'écraser sur son visage, une question surgit : "est-ce qu'on peut prier en déféquant ?". Le souvenir de sa grand-mère lui répétant que "tout ce qui vient du ciel est sacré", résonne alors comme une saillie libertaire pourfendant le caractère inviolable de la loi islamique en lui faisant ouvertement la nique.
"Je suis la femme voilée, cool, mariée"… Invitant un homme choisi au hasard dans le public à lui maintenir fermement les pieds (acte iconoclaste) afin qu'elle puisse pratiquer en tout confort ses exercices physiques, déclenchant à l'occasion des sensations localisées dans une zone intime, elle raconte ses courses à Beyrouth… Des parcours émaillés d'anecdotes scatologiques, ainsi lorsqu'une fiente de pigeon vient à s'écraser sur son visage, une question surgit : "est-ce qu'on peut prier en déféquant ?". Le souvenir de sa grand-mère lui répétant que "tout ce qui vient du ciel est sacré", résonne alors comme une saillie libertaire pourfendant le caractère inviolable de la loi islamique en lui faisant ouvertement la nique.
© Marwan Tahtah.
La figure de Médée, déclinée dans plusieurs, semble la hanter comme on peut l'être par un motif cristallisant des problématiques fortes liées au féminin révolté. Le mythe de Médée est d'abord ressuscité avec humour au travers des "Amours Halal" (titre d'un film se déroulant à Beyrouth) de Créuse et de Jason, de la terrible vengeance qui s'ensuivit, Médée égorgeant ses propres enfants pour punir l'infâme de son infidélité et assurer à ses enfants paix et sérénité. Ce rôle, l'a toujours secrètement attirée sans qu'elle comprenne en quoi tuer ses enfants aimés était acte d'amour… L'expérience de la complexité de la vie lui apprendra que l'aberration pointée ne peut être qu'apparente.
Habitée depuis par cette figure de mère infanticide par amour (on se heurte là au tabou des tabous) elle se fera plus grave en exhumant de sa mémoire deux cas de femmes ayant eu recours au meurtre, direct ou indirect, de leurs progénitures.
D'abord Yvonne, cette Libanaise chrétienne, cultivée et mariée à un homme riche et haut placé, ayant laissé une cassette "scandaleuse" filmant son acte… La comédienne distribue alors dans la salle trois desserts à la crème, onguent blanc sur le visage aussi immaculé que la chantilly recouvrant le gâteau à la mort-aux-rats préparé avec les fruits préférés des filles d'Yvonne. Trois silhouettes innocentes découpées dans une ribambelle de papiers enflammés avec un briquet… Elle aussi, mère aimante, n'avait pu supporter exposer ses enfants à la trahison de l'homme, c'est ce que la cassette "égarée" par la justice racontait, l'impensable ne pouvant en tout état de cause rejaillir sur la réputation de l'homme important.
Histoire singulière, tragique, d'une femme sacrificielle faisant écho à la tragédie à grande échelle de l'explosion des 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium stockées honteusement dans les silos du port de Beyrouth. Explosion redoublée d'un autre scandale, celui d'un Pouvoir corrompu empêchant le travail des juges chargés d'établir les responsabilités. Et là, la comédienne se revêtant de voiles rouges part dans une transe où son corps entier devient torche vivante.
Histoire de Zahra, autre Médée libanaise du Sud. Mariée à 15 ans à un homme âgé, elle réussit à obtenir le divorce quand elle tombe amoureuse de Mohamed, militant d'un parti ultra-religieux. Pour lui, elle apprend le Coran et épouse la cause extrémiste. Après lui avoir donné trois fils, Mohamed l'abandonne pour une autre élue d'Allah… La comédienne tourne en courant de plus en plus vite autour d'un rectangle de lumière, dans un état d'exaltation furieuse. Elle les élève seule ses trois garçons et leur communique l'idéal du père de mourir en martyr, sa façon à elle de donner un sens à son indicible douleur.
Habitée depuis par cette figure de mère infanticide par amour (on se heurte là au tabou des tabous) elle se fera plus grave en exhumant de sa mémoire deux cas de femmes ayant eu recours au meurtre, direct ou indirect, de leurs progénitures.
D'abord Yvonne, cette Libanaise chrétienne, cultivée et mariée à un homme riche et haut placé, ayant laissé une cassette "scandaleuse" filmant son acte… La comédienne distribue alors dans la salle trois desserts à la crème, onguent blanc sur le visage aussi immaculé que la chantilly recouvrant le gâteau à la mort-aux-rats préparé avec les fruits préférés des filles d'Yvonne. Trois silhouettes innocentes découpées dans une ribambelle de papiers enflammés avec un briquet… Elle aussi, mère aimante, n'avait pu supporter exposer ses enfants à la trahison de l'homme, c'est ce que la cassette "égarée" par la justice racontait, l'impensable ne pouvant en tout état de cause rejaillir sur la réputation de l'homme important.
Histoire singulière, tragique, d'une femme sacrificielle faisant écho à la tragédie à grande échelle de l'explosion des 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium stockées honteusement dans les silos du port de Beyrouth. Explosion redoublée d'un autre scandale, celui d'un Pouvoir corrompu empêchant le travail des juges chargés d'établir les responsabilités. Et là, la comédienne se revêtant de voiles rouges part dans une transe où son corps entier devient torche vivante.
Histoire de Zahra, autre Médée libanaise du Sud. Mariée à 15 ans à un homme âgé, elle réussit à obtenir le divorce quand elle tombe amoureuse de Mohamed, militant d'un parti ultra-religieux. Pour lui, elle apprend le Coran et épouse la cause extrémiste. Après lui avoir donné trois fils, Mohamed l'abandonne pour une autre élue d'Allah… La comédienne tourne en courant de plus en plus vite autour d'un rectangle de lumière, dans un état d'exaltation furieuse. Elle les élève seule ses trois garçons et leur communique l'idéal du père de mourir en martyr, sa façon à elle de donner un sens à son indicible douleur.
© Marwan Tahtah.
Quand ses deux premiers enfants meurent en combattants, elle remercie Dieu de l'avoir exaucée. Et puis il y a maintenant l'ultime lettre adressée par son dernier fils. Lui, pour avoir refusé de tuer des innocents en Syrie, vient d'être condamné à mort. S'il écrit accepter l'inéluctable, il refuse de mourir pour autant en martyr d'une cause qui n'est plus la sienne, faisant ipso facto de sa mère une Médée déchue.
Femme mère aimante conduite par un aveuglement dionysiaque jusqu'au bout de sa douleur, Mater dolorosa émancipée refusant la domination patriarcale jusqu'à vouloir la mort de ceux à qui elle tient le plus, ces figures dupliquées de la Médée antique incarnées superbement par une comédienne alliant naturel et gravité ne sont pas prêtes à s'effacer de notre mémoire. Le Liban, son pays mis à mal, rongé par les délires religieux et la corruption promue au rang de politique gouvernementale, non plus.
Vu le jeudi 21 juillet au Théâtre Benoît XII, Avignon.
Femme mère aimante conduite par un aveuglement dionysiaque jusqu'au bout de sa douleur, Mater dolorosa émancipée refusant la domination patriarcale jusqu'à vouloir la mort de ceux à qui elle tient le plus, ces figures dupliquées de la Médée antique incarnées superbement par une comédienne alliant naturel et gravité ne sont pas prêtes à s'effacer de notre mémoire. Le Liban, son pays mis à mal, rongé par les délires religieux et la corruption promue au rang de politique gouvernementale, non plus.
Vu le jeudi 21 juillet au Théâtre Benoît XII, Avignon.
"Jogging جوغينغ"
© Marwan Tahtah.
Hanane Hajj Ali, Beyrouth.
Spectacle en arabe, surtitré en français et en anglais.
Texte, conception : Hanane Hajj Ali.
Dramaturgie : Abdullah Alkafri.
Avec : Hanane Hajj Ali.
Direction artistique et scénographie : Éric Deniaud.
Lumière : Sarmad Louis, Rayyan Nihawi.
Son : Wael Kodeih.
Costumes : Kalabsha, Louloua Abdel-Baki.
Durée : 1 h 30.
•Avignon In 2022•
Du 20 au 26 juillet 2022.
À 18 h, relâche le 23 juillet.
Théâtre Benoît-XII, 12, rue des Teinturiers, Avignon.
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14.
Spectacle en arabe, surtitré en français et en anglais.
Texte, conception : Hanane Hajj Ali.
Dramaturgie : Abdullah Alkafri.
Avec : Hanane Hajj Ali.
Direction artistique et scénographie : Éric Deniaud.
Lumière : Sarmad Louis, Rayyan Nihawi.
Son : Wael Kodeih.
Costumes : Kalabsha, Louloua Abdel-Baki.
Durée : 1 h 30.
•Avignon In 2022•
Du 20 au 26 juillet 2022.
À 18 h, relâche le 23 juillet.
Théâtre Benoît-XII, 12, rue des Teinturiers, Avignon.
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14.