Avignon 2021

•In 2021• Sonoma Du cri primal aux tambours de Calanda, du folklore au contemporain, le charme indiscret d'un monde fragmenté

Dire les neuf danseuses vêtues des costumes traditionnels espagnols, robes-paniers et coiffes de dentelle, glissant et virevoltant tels des derviches tourneurs, ou bien les troquant pour des tenues blanches et noires sorties de l'imaginaire contemporain. Dire la croix monumentale occupant une place de choix dans la Cour d'Honneur et ses cordes auxquelles sont reliées les danseuses avant qu'elles ne s'en affranchissent. Dire les nappes sonores envoûtantes transportant des litanies psalmodiées aux tambours assourdissants. Dire enfin le charme indiscret d'un monde en continuelle rupture…



© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
"Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie", écrivait Lautréamont dans "Les chants de Maldoror". Beau comme la rencontre fortuite sur le plateau mythique de la Cour d'Honneur d'univers dissemblables, réunis là par le seul "dé-lire" d'un homme… cet homme, Marcos Morau, s'appliquant à déconstruire frénétiquement ce que l'on nomme réalité pour la donner à lire sous forme de fragments éblouissants. Et que ceux qui voudraient trouver coûte que coûte une trame narrative dans cette profusion de tableaux vivants, en soient pour leurs frais.

Dans la mouvance du surréalisme et de l'un de ses géniaux inspirateurs, Luis Buñuel, le chorégraphe espagnol revendique, comme acmé créatrice, la liberté des associations libres dans les plis desquelles surgit - ou pas - un sens. Ainsi de l'ouverture et de ses danseuses montées sur patins, glissant comme des poupées de salon au mécanisme réglé n'offrant aucune liberté personnelle. Ainsi du tableau inaugural donnant à voir ses femmes ligotées à la croix gigantesque, celle de Jésus… puis portées par la grâce païenne, s'en délier, transformant leurs anciens liens en cordes d'évasion accrochées aux fenêtres hautes de la façade monumentale.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
La religion a cela de positif - Marcos Morau partage avec Luis Buñuel l'expérience inscrite dans sa chair d'avoir été élève d'un collège catholique - qu'elle permet à celles et à ceux qui y survivent de développer un imaginaire sans entraves. Car, en contradiction avec ce que l'on énonçait plus haut, s'il fallait finir par trouver un sens à cette heure un quart chorégraphiée, ce serait mettre en exergue l'itinéraire libératoire suivi par ces femmes danseuses, d'abord entravées à la croix, puis habitées par une énergie effrénée, les battements de tambours ne faisant plus qu'un avec leur corps résonnant de puissance. Des liens contraignants à la libération tonitruante…

Les paroles psalmodiées dévidant leurs litanies de préceptes à consonances religieuses, mâtinés d'une réécriture contemporaine s'affranchissant de toute morale prête-à-porter, font écho au langage libre des corps utilisant toutes les gammes à leur disposition pour dire collectivement l'indicible des pulsions les traversant. Ainsi, derrière leur façade vernissée, les chorégraphies mises en miroir par un immense tableau blanc où les ombres décuplent leurs mouvements, expriment au-delà des prouesses montrées l'indomptable désir d'être.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Et quand, sorties inopinément du bestiaire cinématographique du maître andalou, deux figures gigantesques de vieilles femmes apparaissent, elles seront reconduites avec douceur et détermination vers les malles à roulettes où, couvercles fermés et sans autre forme de procès, elles disparaîtront vers les coulisses. L'"à-venir" regorge de promesses vives transportant les danseuses au plateau vers d'autres contrées à explorer. D'autres séquences d'inspiration surréalistes viendront perturber l'ordre dès qu'établi en fournissant leur lot de parures excentriques, de rires à profusion et de formules incantatoires à décrypter.

De la soumission "ordonnée" des commencements au déchainement des tambours faisant écho à ceux du natif de Calanda, tout n'est que désordre et volupté afin que jaillisse dans la Cour d'Honneur le cri libérateur né du cri primal. Une fête des sens à valeur de bouquet final pour cette édition 2021 d'un festival enthousiasmant, riche de très belles surprises.

Vu le dimanche 25 juillet 2021 à 22 h dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes à Avignon.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
"Sonoma"
Créé le 24 juillet 2020 au Festival Grec de Barcelone (Espagne).
Texte : El Conde de Torrefiel, La Tristura et Carmina S. Belda.
Direction artistique : Marcos Morau.
Chorégraphie : Marcos Morau en collaboration avec les interprètes.
Avec : Alba Barral, Àngela Boix, Julia Cambra, Laia Duran, Ariadna Montfort, Núria Navarra, Lorena Nogal, Marina Rodríguez, Sau-Ching Wong.
Conseil dramaturgique : Roberto Fratini.
Répétition : Estela Merlos, Alba Barral.
Travail vocal : Mònica Almirall, Maria Pardo.
Scénographie : Bernat Jansà, David Pascual.
Lumière : Bernat Jansà.
Effets spéciaux : David Pascual.
Son : Juan Cristóbal Saavedra.
Costumes : Silvia Delagneau.
Couture : Ma Carmen Soriano.
Chapeau : Nina Pawlowski.
Masques : Juan Serrano.
Construction du géant : Martí Doy.
Accessoires : Mirko Zeni.
Par le collectif La Veronal.
Durée : 1 h 15.

•Avignon In 2021•
A été représenté du 21 au 25 juillet 2021.
À 22 h, relâche le 23 juillet.
Cour d'Honneur du Palais des Papes, Avignon (84).
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Tournée
19 août 2021 : Festival Fresca !, Alicante (Espagne).
21 août 2021 : Festival Sagunt a Escena, València (Espagne).
28 août 2021 : Festival de Verano, San Lorenzo de El Escorial (Espagne).
13 au 14 septembre 2021 : La Bâtie - Festival de Genève, Genève (Suisse).
8 au 9 octobre 2021 : Le Pavillon Noir, Aix-en-Provence (13).
13 au 14 novembre 2021 : Staatstheater Darmstadt, Darmstadt (Allemagne).
21 novembre 2021 : Festival Temporada Alta, Gérone (Espagne).
15 janvier 2022 : Teatro Principal de Castelló de la Plana, Castelló de la Plana (Espagne).
20 au 28 janvier 2022 : Chaillot - Théâtre national de la Danse, Paris.

Yves Kafka
Jeudi 29 Juillet 2021
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