Théâtre

Hamlet au Français : Une proposition à l'ironie prometteuse... mais sur la pente boulevardière !

"La Tragédie d'Hamlet", Comédie Française, Paris

Les circonstances exactes de l’extinction de la famille de Danemark, rapportées par William Shakespeare dans la pièce "Hamlet", restent en partie une énigme. En effet, l’histoire de la fin des Hamlet, l’enchainement des meurtres et la prise du pouvoir par Fortinbras, n’est connue que par le seul récit d’Horatio présenté comme ami du prince Hamlet et témoin unique de la continuité des événements.



© Cosimo Mirco Magliocca.
La pièce de Shakespeare est pour le spectateur un récit rétrospectif avec ses béances, un collage de souvenirs avec ses impasses. Une reconstitution. Une affirmation de théâtre. Un théâtre dans le théâtre. Une mise en abyme.

En confiant les rôles du spectre du chef des comédiens et de Fortinbras au même acteur (Éric Ruf), Dan Jemmett en amplifie les effets accréditant tout autant l’existence de complots et de contre-complots au sein du récit que d’une farce assumée. Dans ce choix de jeu, Horatio regarde Hamlet (Denis Podalydès), ne le lâche pas des yeux. Son expression ne libère aucune émotion et pourtant il apparait que, de son point de vue, Hamlet, plus qu’à régner, a vocation à penser comédien.

Porté par Denis Podalydès, Hamlet, solitaire, est, de temps en temps, assis sur un banc. À la jonction des mondes entre scène et avant-scène, entre personnages de la pièce et public. Il réfléchit, regarde. Il entre dans le jeu ou plutôt fait irruption, mesure son effet et monte à la rampe, s’entremet auprès du public. Le prince Hamlet tâtonne entre les réalités mouvantes de cette cour dont il tient une partie des ficelles mais pas toutes. Ses volte-face qui déplacent le front des amis ou ennemis déroutent et inquiètent. Lecteur de Søren Kierkegaard, il recherche les clefs de l’action dans la posture de l’acteur, interroge les pouvoirs de la théâtralité, prend du retard par rapport à l’action nécessaire et brouille son image. Se voulant masqué, il avance à découvert. La vengeance toujours à retardement est éventée et Hamlet succombe dans l’hécatombe qu’il a déclenchée. Le jeune Fortinbras, en véritable homme d’action, prend le pouvoir tout uniment après le massacre.

© Cosimo Mirco Magliocca.
Denis Podalydès est de manière très intime cet Hamlet-là qui débat des liens entre l’agir et l’image ; et incarne magnifiquement un paradoxe du comédien. Comment "être ou n’être pas" dans un monde où tout semble écrit et ne peut être réinventé. Un Hamlet qui ne tranche pas entre farce et hallucination. Cette interprétation apporte une solide charpente à la mise en scène.

Dan Jemmett transpose la pièce dans l’Angleterre des années soixante-dix et conduit l’action dans le club house d’une société d’escrime centenaire. Ce sont des années de bouleversement qui voient une tradition d’extravagants, toujours rassemblés autour des pratiques communes des jeux de fléchettes, de paris, de la bière et du whisky, se compléter de travestis glam rock. Chapeaux melon et cheveux longs. Ces portraits d’anglais excentriques et vulgaires comme nature qui ont suçoté la pièce de Shakespeare depuis la petite enfance sont drôles. La transposition est cohérente tant est forte la mythologie de cette Angleterre-là porteuse de punkitude.

La proposition est méthodiquement ironique, elle ne demande qu’à s’exprimer branque et absurde. Assagie par le jeu classique français et marquée par une traduction moderniste d’Yves Bonnefoy déjà vieillissante, elle reste pourtant un simple collage qui parasite le propos plutôt que l’asseoir, prenant même une dimension potentiellement et dangereusement boulevardière. Au risque de masquer le magnifique travail d’ensemble.

"La Tragédie d'Hamlet"

Texte : William Shakespeare.
Mise en scène : Dan Jemmett.
Texte français : Yves Bonnefoy.
Mise en scène : Dan Jemmett
Collaboratrice artistique et Dramaturgie : Mériam Korichi.
Scénographie : Dick Bird.
Avec : Éric Ruf (Le Spectre, Premier Comédien, Fortinbras), Alain Lenglet (Horatio), Denis Podalydès (Hamlet), Clotilde de Bayser (Gertrude), Jérôme Pouly (Laërte), Laurent Natrella (Bernardo, Valtemand, 2e Comédien, le Marin, 1er fossoyeur, Le Prêtre, L’Ambassadeur d’Angleterre), Hervé Pierre (Claudius), Gilles David (Polonius), Jennifer Decker (Ophélie), Elliot Jenicot (Rozencrantz et Guildenstern), Benjamin Lavernhe (Marcellus, Reynaldo, 3e Comédien, Un Capitaine, Un Messager, Osrik, 2e fossoyeur).
Costumes : Sylvie Martin Hyszka.
Lumières : Arnaud Jung.
Maître d’armes : Jérôme Westholm.
Création Coiffures : Cécile Gentilin.
Création Maquillages : Laura Ozier.
Durée : 3 h 10 avec entracte.

Du 7 octobre 2013 au 12 janvier 2014.
Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 14 h.
Comédie Française, Salle Richelieu, Paris 1er, 0825 10 1680 (0.15 € TTC/mn).
>> comedie-francaise.fr

Jean Grapin
Lundi 28 Octobre 2013
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