© Boijeot-Renauld.
Se déplaçant pédestrement accompagnés de leur table, banc et lit, au rythme fabuleux de cinq cents mètres journalier, ils se proposent de relier Saint-Médard-en-Jalles à Bordeaux en trente jours, mangeant et dormant sous le dais des étoiles, une bâche tendue pouvant le cas échéant les protéger des pluies girondines.
Et ils semblent apprécier ce mode opératoire - toujours le même dispositif - si on en croit leurs performances précédentes qui, depuis maintenant 2012, les ont conduits en Seine-Saint-Denis, à Paris, Bâle, Dresde, Venise, New York, ou encore Tokyo. Rien d'apparemment "percutant" dans cette manière tranquille d'investir l'espace public qu'ils préfèrent nommer "sol commun" pour éviter la collusion avec "espace public… itaire". L'aspect ludique de leur opération artistique est si évident que les passants croisés leur adressent d'abord un regard interrogateur, puis rieur, avant de s'aventurer à parler avec eux autour du café qu'ils ne manquent pas d'offrir. "Que la fête commence !", dirait Tavernier…
La parole, soudain libérée de ses corsets habituels, se délie pour, à bâtons rompus, emprunter innocemment les chemins de traverse propres à chacun. Affranchi par la situation "extra-ordinaire", délié du regard sociétal introjecté qui d'ordinaire encadre la liberté de (se) dire, l'inconnu de passage se sent tout naturellement autorisé à confier à un autre inconnu ce qui jusque-là faisait partie de son territoire privé. De paroles (faussement) anodines concernant la vie comme elle va, on passe très souvent au récit sinon de l'intime du moins du rapport personnel à la réalité, vécue par définition comme violente puisque faisant obstacle au désir.
Et ils semblent apprécier ce mode opératoire - toujours le même dispositif - si on en croit leurs performances précédentes qui, depuis maintenant 2012, les ont conduits en Seine-Saint-Denis, à Paris, Bâle, Dresde, Venise, New York, ou encore Tokyo. Rien d'apparemment "percutant" dans cette manière tranquille d'investir l'espace public qu'ils préfèrent nommer "sol commun" pour éviter la collusion avec "espace public… itaire". L'aspect ludique de leur opération artistique est si évident que les passants croisés leur adressent d'abord un regard interrogateur, puis rieur, avant de s'aventurer à parler avec eux autour du café qu'ils ne manquent pas d'offrir. "Que la fête commence !", dirait Tavernier…
La parole, soudain libérée de ses corsets habituels, se délie pour, à bâtons rompus, emprunter innocemment les chemins de traverse propres à chacun. Affranchi par la situation "extra-ordinaire", délié du regard sociétal introjecté qui d'ordinaire encadre la liberté de (se) dire, l'inconnu de passage se sent tout naturellement autorisé à confier à un autre inconnu ce qui jusque-là faisait partie de son territoire privé. De paroles (faussement) anodines concernant la vie comme elle va, on passe très souvent au récit sinon de l'intime du moins du rapport personnel à la réalité, vécue par définition comme violente puisque faisant obstacle au désir.
© Boijeot-Renauld.
Et il s'en raconte des histoires de vie incroyables… Des récits pleins des heurs et malheurs de l'humain, à la fois émerveillé d'être de ce monde et - "en même temps" - cabossé par les aléas. Des paroles enjouées mais aussi celles jusque-là restées coincées dans le larynx aux cordes vocales nouées et qui se dénouent comme miraculeusement pour dire des parcours de vie marqués par des chemins de traverse que ne manquerait pas de réprouver la morale garante de l'ordre établi (… mais s'était-on jamais demandé à qui profitait cet "ordre", et par qui il avait été "établi" ?). Ce sont ces chemins de traverse, que d'aucuns beaux esprits nommeraient "déviances" qui, conversation faisant, sont reparcourus ici en toute liberté.
Quant au point d'orgue de cette déambulation au cœur des territoires bordelais, la capitale de la Nouvelle Aquitaine, riche de ses architectures minérales exhibées avec fierté, il n'est pas sans laisser sans voix. Pierres lumineuses des façades XVIIIe, quais semblant tout droit sortis d'un décor de théâtre avec en second plan le joyau du Pont de Pierre illuminé, quartiers réhabilités où - la hausse des loyers ayant tout naturellement déplacé les populations les plus fragiles à la périphérie - il fait bon vivre enveloppé de la douceur girondine, mode de vie policé (au sens de raffiné, civilisé)…
Quant au point d'orgue de cette déambulation au cœur des territoires bordelais, la capitale de la Nouvelle Aquitaine, riche de ses architectures minérales exhibées avec fierté, il n'est pas sans laisser sans voix. Pierres lumineuses des façades XVIIIe, quais semblant tout droit sortis d'un décor de théâtre avec en second plan le joyau du Pont de Pierre illuminé, quartiers réhabilités où - la hausse des loyers ayant tout naturellement déplacé les populations les plus fragiles à la périphérie - il fait bon vivre enveloppé de la douceur girondine, mode de vie policé (au sens de raffiné, civilisé)…
© Boijeot-Renauld.
Mais aussi mode de vie quelque peu entaché par les bavures d'une police faisant parfois moins preuve d'urbanité (chasse à la jeunesse - cf. poème de Jacques Prévert - shitée, susceptible de déparer le charme imparable du paseo prisé le long de La Garonne, énucléations et mains arrachées de fauteurs de troubles Place de l'Hôtel de Ville). Et qu'en est-il des 17 marronniers sains abattus nuitamment Place Gambetta, malgré les 10 000 pétitionnaires de la vigilance citoyenne combattant "vertement" la requalification de cet îlot de verdure ? Ce sont là paroles de citoyens ordinaires qui s'en font l'écho, paroles trouant les couvertures glacées et un rien glamour de la communication municipale.
Agitateurs publics, activistes, les deux artistes ? Non, certainement pas ! "Activateurs de curiosité, cellules dormantes avec un œil ouvert" (sic), ou empathiques catalyseurs, par leur simple écoute bienveillante de propos qui sans eux seraient restés lettre morte, ils participent à rendre vivant un art théâtral à l'étroit dans ses murs.
Héritiers très assagis d'Emmett Grogan - figure flamboyante des Diggers de San Francisco (lire, sur leurs conseils, "Ringolevio") -, ils redonnent à l'art sa place première : son droit de Cité. En effet, en déplaçant avec eux leur dispositif scénique se confondant avec le mobilier de tout un chacun, ils créent les conditions pour qu'émerge une parole performative "ouvroir de récits potentiels" et, in fine, porteuse de transformations sociétales à venir. Non la parole performative qu'un acteur proférerait de l'extérieur à l'intention d'un spectateur captif, mais celle dont le passant "avec bagage" était lui-même le surprenant dépositaire.
Agitateurs publics, activistes, les deux artistes ? Non, certainement pas ! "Activateurs de curiosité, cellules dormantes avec un œil ouvert" (sic), ou empathiques catalyseurs, par leur simple écoute bienveillante de propos qui sans eux seraient restés lettre morte, ils participent à rendre vivant un art théâtral à l'étroit dans ses murs.
Héritiers très assagis d'Emmett Grogan - figure flamboyante des Diggers de San Francisco (lire, sur leurs conseils, "Ringolevio") -, ils redonnent à l'art sa place première : son droit de Cité. En effet, en déplaçant avec eux leur dispositif scénique se confondant avec le mobilier de tout un chacun, ils créent les conditions pour qu'émerge une parole performative "ouvroir de récits potentiels" et, in fine, porteuse de transformations sociétales à venir. Non la parole performative qu'un acteur proférerait de l'extérieur à l'intention d'un spectateur captif, mais celle dont le passant "avec bagage" était lui-même le surprenant dépositaire.
"La Traversée de Bordeaux Métropole"
© Boijeot-Renauld.
Dans le cadre du Festival des Arts de Bordeaux.
Performeurs : Laurent Boijeot et Sébastien Renauld.
Ils sont partis le mercredi 11 septembre de la Place de la Liberté à Saint-Médard-en-Jalles.
Arrivée le jeudi 10 octobre au SUPER QG, Quai de la Grave à Bordeaux.
Le FAB se déroule du 4 au 20 octobre 2019.
>> fab.festivalbordeaux.com
Performeurs : Laurent Boijeot et Sébastien Renauld.
Ils sont partis le mercredi 11 septembre de la Place de la Liberté à Saint-Médard-en-Jalles.
Arrivée le jeudi 10 octobre au SUPER QG, Quai de la Grave à Bordeaux.
Le FAB se déroule du 4 au 20 octobre 2019.
>> fab.festivalbordeaux.com