Théâtre

"Erich von Stroheim", une allégorie de la marchandisation des corps, de la standardisation de la médiocrité

"Erich von Stroheim", Théâtre du Rond-Point, Paris

Sur le plateau, dans la mise en scène de Stanislas Nordey, pour la pièce de Christophe Pellet "Erich von Stroheim", un paravent, ou plutôt un retable géant, s'ouvre et se ferme de manière répétitive. Lorsque le retable s'ouvre une femme et deux hommes apparaissent, dans une alternance de duos. Présentés dans une simplicité d'appareil. Elle est dominatrice. L'un est mûr et soumis et probable géniteur. L'autre a l'allure d'un éphèbe grec : c'est un apprenti.



© Jean-Louis Fernandez.
À l'évidence du texte, la scène se situe au sein d'une entreprise de production de films X. Le dialogue renvoie aux métiers de la pornographie. Et le personnage masculin qui trouve très beau l'uniforme d'officier germanique qu'il endosse pour ses prestations ignore tout de la biographie du vrai comédien allemand Erich von Stroheim qu'il évoque pour annoncer sa journée de travail… (Au spectateur attentif d'apprécier la violence de l'allusion).

La pièce montre un trio, en recherche de couple. Le texte de Christophe Pellet, au langage simple et direct, joue les antagonismes, refuse tout signe d'échange, de symbiose. S'y discerne une difficulté manifeste à dire une impossible enfance, une impossible tendresse, d'impossibles sentiments.

Les personnages sont prisonniers d'une chair sans imaginaire. Objets du regard, les comédiens sont contraints à une dureté du jeu. Ils n'offrent que l'intensité de leur présence, leur corps en offrande, une tension de la voix. Quasi automates.

© Jean-Louis Fernandez.
Dans la scénographie, l'ouverture et la fermeture du retable sont accompagnés par la voix de Maria Callas dans l'air de "Samson et Dalila" : "Mon cœur s'ouvre à ta voix…". Le leitmotiv est lancinant, impose sa sur-présence.

Lorsque le retable est fermé, le spectateur voit la projection de l'image de deux corps enlacés. La présentation en est appuyée, ostensible, immense. Il s'agit de deux icônes de cinéma : Montgomery Clift et Lee Remick dans "le Fleuve sauvage", d'Elia Kazan. Ce sont deux amants fusionnels. La femme est forte, l'homme fragile.

Dans la mise en scène de Stanislas Nordey, il est mis en œuvre un entre-deux de l'image et de la voix. Ou plutôt de l'icône à la chair. Ou plutôt du mensonge de l'image. C'est ainsi qu'il faut comprendre le titre de la pièce "Erich von Stroheim" qui n'est qu'une convention arbitraire pour exprimer l'écart entre le mythe et la réalité.

© Jean-Louis Fernandez.
La boucle est bouclée, et la leçon du spectacle assénée. Le monde qui est présenté tourne en rond sans rêve ni échappatoire. Un couple s'est formé sur scène, éloigné, très éloigné des icônes d'Elia Kazan ou de Camille Saint-Saëns.

Ce théâtre se veut allégorie de la marchandisation des corps, de la standardisation de la médiocrité. Il révèle même l'absence de quête d'une humanité perdue, l'impuissance à produire de la singularité et de la beauté. C'est un miroir tendu sans autre capacité de divertissement que l'ennui.

L'éphèbe lui est parti ailleurs.

"Erich von Stroheim"

© Jean-Louis Fernandez.
Texte : Christophe Pellet.
Mise en scène : Stanislas Nordey.
Avec : Emmanuelle Béart, Thomas Gonzalez et Laurent Sauvage, en alternance avec Victor de Oliveira.
Collaboration artistique : Claire Ingrid Cottanceau.
Scénographie : Emmanuel Clolus.
Lumière : Stéphanie Daniel.
Son : Michel Zurcher.
Vidéo : Claire Ingrid Cottanceau, Stéphane Pougnand.
Décor et costumes : ateliers du Théâtre National de Strasbourg.
Durée : 1 h 35.

Du 25 avril au 21 mai 2017.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h.
Relâche : 30 avril et 2 mai.
Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault, Paris 8e, 01 44 95 98 21.
>> theatredurondpoint.fr

Jean Grapin
Mardi 2 Mai 2017
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