Concerts

Elena Bashkirova, la passion en héritage

La pianiste russe offre un récital au Théâtre des Champs-Elysées le 15 mai dans le cycle des concerts de Piano 4 Etoiles. L'occasion de retrouver ici en entretien une femme passionnée dévouée au service de la musique.



Jerusalem International Chamber Music Festival 2017 © DR.
Elena Bashkirova nous reçoit avec la simplicité charmante des vrais artistes. Lumineuse, sereine, très disponible, elle nous assure qu'elle revient toujours à Paris avec plaisir. N'y a-t-elle pas vécu onze ans avec son second époux, Daniel Barenboim, jusqu'en 1991 ? Paris n'est pas seulement la ville où ont été élevés leurs deux enfants (avant leur installation définitive à Berlin), elle est aussi le lieu où Elena Bashkirova aime retrouver ses nombreux amis musiciens.

Élève au Conservatoire Tchaïkovsky de Moscou dans la classe de son père, Dmitri Bashkirov (1), elle a mené une carrière au parcours très personnel. Chambriste respectée qui joua au sein de l'Ensemble Metropolis pendant deux ans, elle est directrice artistique de deux festivals de musique de chambre à Jérusalem (fondé en 1998) et Berlin (créé en 2012). La pianiste nous en dit plus sur sa carrière et les concerts qu'elle "adore" programmer.

Christine Ducq - Pourquoi par le passé avez-vous mis entre parenthèses votre carrière de soliste ?

Elena Bashkirova - Je n'ai pas l'impression d'avoir arrêté quoi que ce soit, je n'ai jamais renoncé à la musique. Simplement pendant des années, je me suis consacrée essentiellement à la musique de chambre. D'abord avec des solistes du Philharmonique de Berlin pour l'Ensemble Metropolis, puis j'ai fondé en 1998 le Festival international de Musique de chambre de Jérusalem. Cela m'a énormément plu et j'y ai consacré beaucoup de temps, jouant par ailleurs avec de nombreux ensembles.

© DR.
À cette époque, il était très difficile pour moi d'affronter la solitude qu'induit la vie de soliste sur scène et en tournée. Et j'ai eu de mauvaises expériences ; par exemple dans ces petites villes allemandes où personne ne vous attend, où vous êtes livré à vous-même et devez trouver la salle de concert en traînant votre valise. Personne à qui parler ni avant ni après le concert ! J'ai développé d'ailleurs une détestation pour les cacahouètes du mini bar ! (Elle éclate de rire).

Puis André Furno m'a proposé, il y six ans, de reprendre ma carrière de soliste pour son cycle Piano 4 Etoiles et il a réussi à me persuader de retrouver le chemin des tournées. Sa confiance m'a honorée et même si je n'étais pas absolument convaincue, je me suis très sérieusement préparée dans cette perspective. La vie change et nous aussi, je me suis aperçue que j'y prenais énormément de plaisir. Désormais je n'ai plus peur des cacahouètes ! (Elle rit).

J'apprécie désormais la solitude : celle du travail à la maison (cinq à six heures de piano par jour) avec lequel l'apprentissage de nouvelles œuvres ou l'approfondissement de mon répertoire me permettent d'aller au plus profond de moi-même. Je ressens également un véritable accomplissement sur scène. Ma vie a été consacrée à beaucoup de belles choses, mais j'adore aujourd'hui construire et apprendre de nouveaux programmes - et plus seulement pour les festivals.

Vous semblez avoir beaucoup médité celui de votre récital parisien ?

E. B. - En effet. La première partie du concert est consacrée à Mozart. Les trois premières pièces (2) constituent quasiment une sonate dont les tonalités en ré majeur et mineur et en la majeur fonctionnent bien ensemble. Les adorables "Huit Variations pour piano" sont une transcription qui n'est sans doute pas de Mozart, mais chaque note est bien de lui puisqu'issue du superbe Quintet pour clarinette. J'ai choisi aussi la Sonate K. Anh 136 en si bémol majeur dont j'aime particulièrement le Finale avec sa grande cadence, tel un grand concerto. Ces quatre œuvres offrent un beau parcours représentatif de l'art mozartien.

Pourquoi avoir élu les "Impressions Poétiques" de Dvoràk ?

E. B. - Cette pièce constitue une découverte pour moi et en sera sans doute une pour le public. Elle est d'une beauté et d'une fraîcheur rares - et peu donnée de surcroît. On croit la connaître pourtant et je compte bien montrer que c'est faux - ainsi que le plaisir qu'elle me donne. Chacune de ces "Impressions" est une petite histoire en soi, avec son propre caractère et ses couleurs. L'écouter ou la jouer est comme entrer dans un monde.

Festival de Dubrovnik © DR.
Des compositeurs nés à l'Est, vous allez également mettre à l'honneur Bartok et sa Sonate SZ 80 ?

E. B. - La pièce peut-être la plus radicale et de ce concert, et de son œuvre pour piano. Elle date des années vingt et je la trouve si incroyablement intéressante et moderne avec ses contrastes ! Si la pièce de Dvoràk est plutôt lyrique et douce, celle de Bartok met beaucoup de sel et de poivre dans ce programme avec sa force et ses dissonances ! (Elle rit).

En tant que pianiste vous avez également accompagné de grands chanteurs, n'est-ce pas ?

E. B. - Et je le fais toujours. C'est une excellente expérience qui nourrit ma pratique de soliste. J'ai appris en les accompagnant comment construire la ligne legato, c'est-à-dire comment chanter la phrase et lier les notes, comment aménager les respirations. C'est une très bonne école.

Elena Bashkirova © DR.
Quelques souvenirs marquants de ces duos ?

E. B. - Tous ont été marquants. J'ai cependant un souvenir particulier de mon travail avec Anna Netrebko, une chanteuse très inspirante. Elle a une force combinée à une intelligence musicale étonnante, sans omettre son instinct fantastique et sa générosité d'artiste. Nous allons retravailler bientôt ensemble l'an prochain, avec une date à Bordeaux d'ailleurs.

J'ai également adoré travailler avec René Pape, un très grand interprète. Il y en a beaucoup d'autres que je risque d'oublier. Tous, de fait, m'ont beaucoup appris. Je fais d'ailleurs venir beaucoup de chanteurs dans les festivals de Jérusalem et Berlin. Je puis ainsi mélanger lied et musique de chambre dans les programmes car cela me semble très intéressant pour le public.

(1) D. Bashkirov a été lui-même disciple d'un élève de Franz Liszt.
(2) "Fantaisie" K. 397, "Rondo" K.485, "Huit variations" K.460.


Récital mercredi 15 mai 2019 à 20 h.
Théâtre des Champs-Elysées,
15, avenue Montaigne Paris (8e).
Tél. : 01 49 52 50 50.
>> theatrechampselysees.fr
>> piano4etoiles.fr

Christine Ducq
Mardi 7 Mai 2019
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