Antoine Doré © SACD.
Qu’est‐ce qu’un auteur dramatique ? Comment écrire pour le théâtre aujourd’hui ?
C’est pour répondre à ces questions essentielles et nourrir la réflexion sur une politique en faveur des auteurs qu’une étude a été confiée en 2008 par le Ministère de la Culture et de la Communication et la SACD en partenariat avec la Direction générale de la création artistique (DGCA), à Antoine Doré, sociologue, chercheur à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
Cette étude s’appuie sur une enquête auprès des auteurs eux‐mêmes et sur une comparaison européenne. Ainsi, une campagne d’entretiens a été effectuée auprès de 81 auteurs dramatiques résidant en France, sélectionnés pour la diversité de leurs profils, sur des critères comme l’âge, le lieu de résidence et le niveau de revenus en droits d’auteur. Ils ont été interrogés sur une série de thèmes ayant trait à leur biographie, à leur pratique d’écriture, à leurs autres activités, aux trajectoires de leurs textes et à leur pratique des politiques publiques. Une attention particulière a été donnée à leurs difficultés professionnelles et à leurs éventuelles revendications en matière de politiques culturelles. Ces rencontres ont été complétées par plus de 60 entretiens en France et à l’étranger auprès de "personnes ressource" (traducteurs, dramaturges, éditeurs, agents, universitaires, responsables de théâtres, d’organisations professionnelles d’auteurs, de comités de lecture, etc.) et par le traitement quantitatif de fichiers fournis par la SACD.
Qui sont ces auteurs ?
L’analyse des données de la SACD, portant sur la période 1997‐2008, révèle un doublement des effectifs d’auteurs dramatiques (2 400 en 1997, 4 800 en 2008), qui ne s’est pas accompagné d’un accroissement dans une telle proportion des perceptions de droits d’auteur. Si l’on tient compte des chiffres de l’inflation, le montant des droits perçus par an en moyenne par les auteurs dramatiques (ayant touché des droits) a diminué de plus de 15 %, pour s’établir à 5 133 euros brut en 2008. L’analyse quantitative révèle également que la moitié des auteurs dramatiques hexagonaux se concentrent à Paris ou en région parisienne et que les hommes représentent deux tiers des effectifs, malgré une croissance régulière de la proportion de femmes. Les revenus sont distribués de manière très inégalitaire entre les auteurs, puisque 10 % d’entre eux reçoivent 77 % des droits et que le revenu moyen des auteurs résidant à Paris est presque trois fois supérieur au revenu moyen des auteurs de province.
Une nécessaire pluriactivité pour survivre et pouvoir écrire
La pluriactivité est la norme de travail des auteurs dramatiques. C’est le premier enseignement de la campagne d’entretiens. Qu’ils occupent un emploi salarié, qu’ils aient le statut d’intermittent du spectacle ou qu’ils vivent essentiellement de l’écriture, quasiment tous les auteurs de théâtre exercent plusieurs activités. La diversification professionnelle prend, pour les uns, la forme d’une polyvalence théâtrale (cumul de plusieurs fonctions dans le processus théâtral), pour d’autres, de la polyactivité (exercice d’une activité hors du secteur du spectacle vivant). L’écriture s’accompagne également, dans de nombreux cas, d’un faisceau de tâches, comme la conduite d’ateliers d’écritures et l’intervention en milieu scolaire, social ou culturel. La gestion d’un "portefeuille d’activités" permet aux auteurs de pallier la faiblesse et l’incertitude des revenus d’écriture – les droits d’auteur ne représentant, pour la grande majorité, qu’une part résiduelle des ressources. Cependant, l’incertitude est telle que les "carrières d’auteur" sont discontinues et qu’elles sont souvent marquées par des changements de stratégie professionnelle et de régime social, et pour beaucoup d’auteurs par des périodes de chômage.
Un parcours du combattant
Plusieurs données se dégagent de la biographie des auteurs, malgré la multiplicité des parcours. L’initiation de l’écriture dramatique est assez tardive, en moyenne à l’âge de 26 ans pour les auteurs interrogés. La plupart ont suivi des études universitaires sanctionnées par un diplôme (le niveau d’étude médian de l’échantillon est de Bac+4), ainsi qu’une formation théâtrale. 47 % des auteurs interrogés ont même reçu une formation professionnalisante ou pré‐professionnalisante au métier de comédien. Ce chiffre traduit un autre phénomène, essentiel pour comprendre l’identité de ce groupe professionnel : la proximité avec la pratique scénique. La majorité des auteurs entretiennent des liens étroits avec la scène, par leur activité propre d’interprète ou/et de metteur en scène ou par leur inscription dans des réseaux.
Une carrière d’auteur se construit, comme pour les praticiens de la scène, par l’épreuve du plateau, mais elle est également balisée par la publication et par l’obtention de récompenses symboliques : sélections dans des comités de lecture, bourses publiques, prix d’écriture. Autant de modes de reconnaissance permettant aux auteurs d’exister dans un secteur où aucun critère de professionnalité ne s’impose.
La situation des auteurs dramatiques en Europe
L’enquête a également porté sur la situation des auteurs en Grande‐Bretagne, en Allemagne et en l’Italie. L’exercice de l’activité d’auteur y est analysé à la lumière du cadre politique, institutionnel et socio‐économique dans lequel elle s’insère.
• Le système britannique est structuré par l’action intense d’une quinzaine de théâtres subventionnés, spécialisés dans les nouvelles dramaturgies, qui dynamisent le secteur en passant de nombreuses commandes à des auteurs. Les agents littéraires jouent un rôle central dans la découverte des jeunes auteurs et dans la conception des projets artistiques.
• En Allemagne, plusieurs dizaines de théâtres publics, fortement subventionnés et à caractère généraliste, animent la production dramaturgique. Ils travaillent en étroite collaboration avec des agents‐éditeurs. L’Allemagne est, avec la France, le seul pays où les auteurs bénéficient d’un statut social spécifique.
• Le système italien n’est pas du tout conçu pour permettre à des auteurs dramatiques de vivre de l’écriture. En l’absence de la moindre volonté politique pour promouvoir un théâtre contemporain de textes, l’émergence de quelques auteurs est due à l’action d’un éditeur et à celle d’un petit théâtre qui organise un concours d’écriture biennal.
Quelles politiques mener ?
Enfin cette étude présente une analyse des politiques culturelles en France et soutient la conduite d’une politique structurée en faveur des auteurs et des écritures dramatiques contemporaines, répondant à quatre objectifs complémentaires :
• Stimuler la création et la diffusion des écritures dramatiques contemporaines ;
• Améliorer la situation des auteurs en agissant sur l’emploi, le statut d’auteur, la rémunération et l’accompagnement de carrière ;
• Soutenir activement l’insertion de nouveaux auteurs ;
• Élargir les publics des nouvelles dramaturgies par une politique de promotion et de transmission.
Site de la SACD.
Á lire également la première partie :
"Une diversité de carrières d’auteur de l’audiovisuel et du spectacle vivant. Les auteurs de la SACD de 1997 à 2008" réalisée par Marie Gouyon.
C’est pour répondre à ces questions essentielles et nourrir la réflexion sur une politique en faveur des auteurs qu’une étude a été confiée en 2008 par le Ministère de la Culture et de la Communication et la SACD en partenariat avec la Direction générale de la création artistique (DGCA), à Antoine Doré, sociologue, chercheur à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
Cette étude s’appuie sur une enquête auprès des auteurs eux‐mêmes et sur une comparaison européenne. Ainsi, une campagne d’entretiens a été effectuée auprès de 81 auteurs dramatiques résidant en France, sélectionnés pour la diversité de leurs profils, sur des critères comme l’âge, le lieu de résidence et le niveau de revenus en droits d’auteur. Ils ont été interrogés sur une série de thèmes ayant trait à leur biographie, à leur pratique d’écriture, à leurs autres activités, aux trajectoires de leurs textes et à leur pratique des politiques publiques. Une attention particulière a été donnée à leurs difficultés professionnelles et à leurs éventuelles revendications en matière de politiques culturelles. Ces rencontres ont été complétées par plus de 60 entretiens en France et à l’étranger auprès de "personnes ressource" (traducteurs, dramaturges, éditeurs, agents, universitaires, responsables de théâtres, d’organisations professionnelles d’auteurs, de comités de lecture, etc.) et par le traitement quantitatif de fichiers fournis par la SACD.
Qui sont ces auteurs ?
L’analyse des données de la SACD, portant sur la période 1997‐2008, révèle un doublement des effectifs d’auteurs dramatiques (2 400 en 1997, 4 800 en 2008), qui ne s’est pas accompagné d’un accroissement dans une telle proportion des perceptions de droits d’auteur. Si l’on tient compte des chiffres de l’inflation, le montant des droits perçus par an en moyenne par les auteurs dramatiques (ayant touché des droits) a diminué de plus de 15 %, pour s’établir à 5 133 euros brut en 2008. L’analyse quantitative révèle également que la moitié des auteurs dramatiques hexagonaux se concentrent à Paris ou en région parisienne et que les hommes représentent deux tiers des effectifs, malgré une croissance régulière de la proportion de femmes. Les revenus sont distribués de manière très inégalitaire entre les auteurs, puisque 10 % d’entre eux reçoivent 77 % des droits et que le revenu moyen des auteurs résidant à Paris est presque trois fois supérieur au revenu moyen des auteurs de province.
Une nécessaire pluriactivité pour survivre et pouvoir écrire
La pluriactivité est la norme de travail des auteurs dramatiques. C’est le premier enseignement de la campagne d’entretiens. Qu’ils occupent un emploi salarié, qu’ils aient le statut d’intermittent du spectacle ou qu’ils vivent essentiellement de l’écriture, quasiment tous les auteurs de théâtre exercent plusieurs activités. La diversification professionnelle prend, pour les uns, la forme d’une polyvalence théâtrale (cumul de plusieurs fonctions dans le processus théâtral), pour d’autres, de la polyactivité (exercice d’une activité hors du secteur du spectacle vivant). L’écriture s’accompagne également, dans de nombreux cas, d’un faisceau de tâches, comme la conduite d’ateliers d’écritures et l’intervention en milieu scolaire, social ou culturel. La gestion d’un "portefeuille d’activités" permet aux auteurs de pallier la faiblesse et l’incertitude des revenus d’écriture – les droits d’auteur ne représentant, pour la grande majorité, qu’une part résiduelle des ressources. Cependant, l’incertitude est telle que les "carrières d’auteur" sont discontinues et qu’elles sont souvent marquées par des changements de stratégie professionnelle et de régime social, et pour beaucoup d’auteurs par des périodes de chômage.
Un parcours du combattant
Plusieurs données se dégagent de la biographie des auteurs, malgré la multiplicité des parcours. L’initiation de l’écriture dramatique est assez tardive, en moyenne à l’âge de 26 ans pour les auteurs interrogés. La plupart ont suivi des études universitaires sanctionnées par un diplôme (le niveau d’étude médian de l’échantillon est de Bac+4), ainsi qu’une formation théâtrale. 47 % des auteurs interrogés ont même reçu une formation professionnalisante ou pré‐professionnalisante au métier de comédien. Ce chiffre traduit un autre phénomène, essentiel pour comprendre l’identité de ce groupe professionnel : la proximité avec la pratique scénique. La majorité des auteurs entretiennent des liens étroits avec la scène, par leur activité propre d’interprète ou/et de metteur en scène ou par leur inscription dans des réseaux.
Une carrière d’auteur se construit, comme pour les praticiens de la scène, par l’épreuve du plateau, mais elle est également balisée par la publication et par l’obtention de récompenses symboliques : sélections dans des comités de lecture, bourses publiques, prix d’écriture. Autant de modes de reconnaissance permettant aux auteurs d’exister dans un secteur où aucun critère de professionnalité ne s’impose.
La situation des auteurs dramatiques en Europe
L’enquête a également porté sur la situation des auteurs en Grande‐Bretagne, en Allemagne et en l’Italie. L’exercice de l’activité d’auteur y est analysé à la lumière du cadre politique, institutionnel et socio‐économique dans lequel elle s’insère.
• Le système britannique est structuré par l’action intense d’une quinzaine de théâtres subventionnés, spécialisés dans les nouvelles dramaturgies, qui dynamisent le secteur en passant de nombreuses commandes à des auteurs. Les agents littéraires jouent un rôle central dans la découverte des jeunes auteurs et dans la conception des projets artistiques.
• En Allemagne, plusieurs dizaines de théâtres publics, fortement subventionnés et à caractère généraliste, animent la production dramaturgique. Ils travaillent en étroite collaboration avec des agents‐éditeurs. L’Allemagne est, avec la France, le seul pays où les auteurs bénéficient d’un statut social spécifique.
• Le système italien n’est pas du tout conçu pour permettre à des auteurs dramatiques de vivre de l’écriture. En l’absence de la moindre volonté politique pour promouvoir un théâtre contemporain de textes, l’émergence de quelques auteurs est due à l’action d’un éditeur et à celle d’un petit théâtre qui organise un concours d’écriture biennal.
Quelles politiques mener ?
Enfin cette étude présente une analyse des politiques culturelles en France et soutient la conduite d’une politique structurée en faveur des auteurs et des écritures dramatiques contemporaines, répondant à quatre objectifs complémentaires :
• Stimuler la création et la diffusion des écritures dramatiques contemporaines ;
• Améliorer la situation des auteurs en agissant sur l’emploi, le statut d’auteur, la rémunération et l’accompagnement de carrière ;
• Soutenir activement l’insertion de nouveaux auteurs ;
• Élargir les publics des nouvelles dramaturgies par une politique de promotion et de transmission.
Site de la SACD.
Á lire également la première partie :
"Une diversité de carrières d’auteur de l’audiovisuel et du spectacle vivant. Les auteurs de la SACD de 1997 à 2008" réalisée par Marie Gouyon.