© Sonia Barcet.
En effet, qui sommes-nous, sinon la somme des expériences vécues dans notre milieu d'appartenance lui-même infiltré par l'Histoire bruyante ? Certes, à la marge - ce qui fait événement pour l'un ne le faisant pas pour l'autre - existe, et heureusement, un espace de liberté personnelle mais celui-ci ne doit pas oblitérer les pesanteurs de "la reproduction" à l'œuvre (cf. Pierre Bourdieu, "La misère du Monde"). Produits d'un milieu et d'une époque, nos existences nous échappent le plus souvent… sauf si les mots viennent faire corps avec le corps social pour faire advenir en chacun le sujet recouvert par le magma ambiant.
Dans ces conditions, devient limpide l'intention du metteur en scène d'entremêler trois jours de l'histoire d'une fratrie, d'un quartier populaire rejeté sur la rive déshéritée d'une Cité protégée par ses remparts (la sienne, Avignon), à trois événements historiques incarnés tour à tour par une figure emblématique de la Révolution française, de la Commune de Paris et de la Révolution algérienne.
À chaque "temps" du récit de cette saga familiale, par le truchement d'artifices totalement assumés, ces icônes (Condorcet, Louise Michel, Djamila Bouhireb) vont faire irruption pour prendre vie dans le présent de Lyn, Samuel, Benjamin et Hafiz, le frère adoptif (au grand-père FLN). Boostant le présent, la double temporalité est à prendre comme un aiguillon du réel se donnant à voir sous un autre jour, l'éclairant de biais.
Dans ces conditions, devient limpide l'intention du metteur en scène d'entremêler trois jours de l'histoire d'une fratrie, d'un quartier populaire rejeté sur la rive déshéritée d'une Cité protégée par ses remparts (la sienne, Avignon), à trois événements historiques incarnés tour à tour par une figure emblématique de la Révolution française, de la Commune de Paris et de la Révolution algérienne.
À chaque "temps" du récit de cette saga familiale, par le truchement d'artifices totalement assumés, ces icônes (Condorcet, Louise Michel, Djamila Bouhireb) vont faire irruption pour prendre vie dans le présent de Lyn, Samuel, Benjamin et Hafiz, le frère adoptif (au grand-père FLN). Boostant le présent, la double temporalité est à prendre comme un aiguillon du réel se donnant à voir sous un autre jour, l'éclairant de biais.
© Sonia Barcet.
Alors, ce qui pourrait apparaître ici comme un procédé factice - mélange de deux temporalités distinctes réunissant dans le même hôpital deux mondes apparemment sans rapport - devient un formidable outil ouvrant grand les passerelles du sens à construire…
Entre Benjamin, le frère handicapé, en état de mort cérébrale après avoir été mordu cruellement par le chien de l'un des émeutiers de 2015, et Djamila Bouhired, l'égérie de la révolution algérienne condamnée à mort par le tribunal militaire français en 1957, quel point commun y-a-t-il d'autre que l'hôpital nord de Marseille où l'état de santé de l'un et le documentaire tourné sur l'autre ayant séjourné là après tortures les ont conduits ? Tout en habitant "des territoires" et des histoires différentes, ils participent du même monde : celui des êtres appelés à faire don de leur vie (don d'organe et/ou don de son existence) pour un monde plus humain, plus libre.
La scénographie composée de trois lieux (un couloir, une salle de soins, un espace machine à café qui deviendra le studio de tournage du procès) fait cohabiter, dans le même espace du plateau, des réalités chargées chacune d'un fort coefficient émotionnel. Que ce soit celle vécue par la fratrie déchirée par le deuil qui les frappe, avec en prime la question cruciale d'autoriser ou non le don d'organes de Benjamin le frère aimé, que ce soit l'actrice (fille de harki…) jouant l'insoumise Djamila, héroïque face au commissaire du gouvernement, aux parachutistes français venus soutenir les actes de torture de leur capitaine, et au juge mâle plein de condescendance pour cette colonisée, rebelle, et femme de surcroît, les tensions sont palpables. Dans l'un et l'autre de ces "territoires", il s'agit d'une lutte à mort… pour la vie.
Entre Benjamin, le frère handicapé, en état de mort cérébrale après avoir été mordu cruellement par le chien de l'un des émeutiers de 2015, et Djamila Bouhired, l'égérie de la révolution algérienne condamnée à mort par le tribunal militaire français en 1957, quel point commun y-a-t-il d'autre que l'hôpital nord de Marseille où l'état de santé de l'un et le documentaire tourné sur l'autre ayant séjourné là après tortures les ont conduits ? Tout en habitant "des territoires" et des histoires différentes, ils participent du même monde : celui des êtres appelés à faire don de leur vie (don d'organe et/ou don de son existence) pour un monde plus humain, plus libre.
La scénographie composée de trois lieux (un couloir, une salle de soins, un espace machine à café qui deviendra le studio de tournage du procès) fait cohabiter, dans le même espace du plateau, des réalités chargées chacune d'un fort coefficient émotionnel. Que ce soit celle vécue par la fratrie déchirée par le deuil qui les frappe, avec en prime la question cruciale d'autoriser ou non le don d'organes de Benjamin le frère aimé, que ce soit l'actrice (fille de harki…) jouant l'insoumise Djamila, héroïque face au commissaire du gouvernement, aux parachutistes français venus soutenir les actes de torture de leur capitaine, et au juge mâle plein de condescendance pour cette colonisée, rebelle, et femme de surcroît, les tensions sont palpables. Dans l'un et l'autre de ces "territoires", il s'agit d'une lutte à mort… pour la vie.
© Sonia Barcet.
Des morceaux de bravoure vont venir percuter l'immobilisme de la conscience consensuelle, parmi lesquels la remarquable plaidoirie reconstituée (elle n'a jamais eu lieu, le tribunal de l'Algérie française ayant refusé de l'entendre) du ténor du barreau Jacques Vergès. Détournant le procès de la militante "terroriste" algérienne luttant pour la liberté de son peuple en celui du colonisateur prédateur, il discrédite à jamais l'idéal de liberté affiché par l'État français au nom duquel ces crimes sont commis.
Le commissaire du gouvernement lui répondra en citant le témoignage d'une fillette de dix ans horriblement mutilée lors de l'attentat du Milk Bar fréquenté par les Français d'Alger. Une révolte - celle d'un peuple luttant pour recouvrer son indépendance - peut-elle être juste si elle s'accompagne de la mort d'êtres innocents ? À cette question répondra en écho l'attentat de la rue de Thèbes, perpétré par l'Organisation de la résistance de l'Algérie française, et ayant fait plus de quatre-vingts morts parmi les Algériens de la casbah endormie.
L'on ressort de ces deux heures et demie menées tambour battant comme étourdi par le flux ininterrompu d'images produites par cette succession de focales, variant entre deux époques et ménageant entre elles le jeu propice à "réfléchir" nos propres convictions. "Des territoires" est à prendre comme une somme où le temps n'est plus un continuum linéaire mais une diffraction de deux réalités se faisant écho pour mieux donner à penser le monde tel qu'il va. Un grand moment de théâtre explosif.
Le commissaire du gouvernement lui répondra en citant le témoignage d'une fillette de dix ans horriblement mutilée lors de l'attentat du Milk Bar fréquenté par les Français d'Alger. Une révolte - celle d'un peuple luttant pour recouvrer son indépendance - peut-elle être juste si elle s'accompagne de la mort d'êtres innocents ? À cette question répondra en écho l'attentat de la rue de Thèbes, perpétré par l'Organisation de la résistance de l'Algérie française, et ayant fait plus de quatre-vingts morts parmi les Algériens de la casbah endormie.
L'on ressort de ces deux heures et demie menées tambour battant comme étourdi par le flux ininterrompu d'images produites par cette succession de focales, variant entre deux époques et ménageant entre elles le jeu propice à "réfléchir" nos propres convictions. "Des territoires" est à prendre comme une somme où le temps n'est plus un continuum linéaire mais une diffraction de deux réalités se faisant écho pour mieux donner à penser le monde tel qu'il va. Un grand moment de théâtre explosif.
"Des Territoires (… Et tout sera pardonné ?)"
© Sonia Barcet.
Texte et mise en scène : Baptiste Amann.
Texte disponible aux éditions Théâtre Ouvert/Tapuscrit.
Assistante à la mise en scène : Amélie Enon.
Avec : Solal Bouloudnine, Alexandra Castellon, Nailia Harzoune, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Lyn Thibault, Olivier Veillon.
Scénographie : Baptiste Amann.
Régie générale : François Duguest.
Création lumière : Florent Jacob.
Création sonore : Léon Blomme.
Costumes : Suzanne Aubert.
Construction décor : Atelier Lasca dans les ateliers du TnBA.
Durée : 2 h 30.
Production L'Annexe.
A été joué dans la Grande Salle Vitez du TnBA (Bordeaux), du 28 janvier au 1er février 2020.
>> tnba.org
Texte disponible aux éditions Théâtre Ouvert/Tapuscrit.
Assistante à la mise en scène : Amélie Enon.
Avec : Solal Bouloudnine, Alexandra Castellon, Nailia Harzoune, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Lyn Thibault, Olivier Veillon.
Scénographie : Baptiste Amann.
Régie générale : François Duguest.
Création lumière : Florent Jacob.
Création sonore : Léon Blomme.
Costumes : Suzanne Aubert.
Construction décor : Atelier Lasca dans les ateliers du TnBA.
Durée : 2 h 30.
Production L'Annexe.
A été joué dans la Grande Salle Vitez du TnBA (Bordeaux), du 28 janvier au 1er février 2020.
>> tnba.org
Tournée
© Sonia Barcet.
12 mars 2020 : Brive, L'Empreinte - Scène nationale Brive-Tulle, Brive-la-Gaillarde (19).
Du 18 au 20 mars 2020 : Théâtre Sorano, Toulouse (31).
Du 31 mars au 3 avril 2020 : Théâtre Dijon-Bourgogne - CDN, Dijon (21).
Du 18 au 20 mars 2020 : Théâtre Sorano, Toulouse (31).
Du 31 mars au 3 avril 2020 : Théâtre Dijon-Bourgogne - CDN, Dijon (21).