© DR.
Quand vous consultez le site des Dissonances et que vous prenez connaissance de leur philosophie, les mots-clés employés font mouche. Relevons-les, ils sont beaux : "liberté", "enrichissement mutuel", "défis", "organisation participative" et "partage fraternel de la musique". Cet orchestre, qui a prouvé brillamment qu'on pouvait revitaliser de (vastes) chefs-d'œuvre du répertoire sans chef, est une structure dans laquelle tous les musiciens venus de toute l'Europe se cooptent par affinités. Unis dans une même exigence artistique, il s'agit de dissoner dans le ronron du paysage de la musique classique. Rencontre passionnante avec son fondateur - et violoniste qui ne voulait pas être "roi".
Christine Ducq - En ce moment, quelques musiciens avec "Orchestre debout" se sont engagés dans le mouvement "Nuit debout". Créer Les Dissonances était aussi un acte engagé ?
David Grimal - Oui, c'est un acte engagé vers la musique, également engagé socialement. Nous parlons d'équité, de collaboration, de donner des concerts pour les sans-abris, nous parlons d'éducation. Ce sont des engagements forts. Mais je ne suis pas sûr que cela ait grand chose à voir avec ce qui se passe Place de la République. Je ne me sens pas d'affinités particulières avec "Nuit debout" même si je ressens la volonté des gens de changer les choses. Mais je n'ai pas l'impression qu'il y ait vraiment de méthode. De toute façon, Les Dissonances n'est pas un projet protestataire.
Vous avez parlé de projet alternatif, il me semble ?
David Grimal - C'est un projet différent, qui s'inscrit dans le monde tel qu'il est. Je ne suis pas forcément en adéquation avec les valeurs portées par le monde de la culture tel qu'il est organisé aujourd'hui. Puisqu'il s'agit surtout de rentabilité économique, de remplissage de salles, d'audimat - choses qui, à mon sens, ne devraient pas être au premier plan pour la culture. De même qu'il ne me paraît pas cohérent de vouloir rentabiliser les hôpitaux ou l'éducation. Bien-sûr, je suis sensible à la volonté de changer le monde.
Christine Ducq - En ce moment, quelques musiciens avec "Orchestre debout" se sont engagés dans le mouvement "Nuit debout". Créer Les Dissonances était aussi un acte engagé ?
David Grimal - Oui, c'est un acte engagé vers la musique, également engagé socialement. Nous parlons d'équité, de collaboration, de donner des concerts pour les sans-abris, nous parlons d'éducation. Ce sont des engagements forts. Mais je ne suis pas sûr que cela ait grand chose à voir avec ce qui se passe Place de la République. Je ne me sens pas d'affinités particulières avec "Nuit debout" même si je ressens la volonté des gens de changer les choses. Mais je n'ai pas l'impression qu'il y ait vraiment de méthode. De toute façon, Les Dissonances n'est pas un projet protestataire.
Vous avez parlé de projet alternatif, il me semble ?
David Grimal - C'est un projet différent, qui s'inscrit dans le monde tel qu'il est. Je ne suis pas forcément en adéquation avec les valeurs portées par le monde de la culture tel qu'il est organisé aujourd'hui. Puisqu'il s'agit surtout de rentabilité économique, de remplissage de salles, d'audimat - choses qui, à mon sens, ne devraient pas être au premier plan pour la culture. De même qu'il ne me paraît pas cohérent de vouloir rentabiliser les hôpitaux ou l'éducation. Bien-sûr, je suis sensible à la volonté de changer le monde.
© J.-B. Gloriod.
Mais pas à la manière du mouvement "Nuit debout" ?
David Grimal - Le problème est de proposer quelque chose de cohérent et d'organisé quand on conteste les structures établies. On voit de tous les côtés la volonté de changer la donne et Les Dissonances y participe, bien entendu, mais c'est très difficile de faire bouger les lignes. On s'en aperçoit dans tous les domaines de la société. Il faut être patient et dans la proposition constructive.
Ce qui a été un catalyseur pour le projet de l'orchestre a été la résidence à l'Opéra de Dijon ?
David Grimal - Oui, un orchestre sans maison n'est pas possible et il est nécessaire d'avoir des résidences. Nous avons d'abord eu le soutien du Volcan au Havre puis la très belle salle de l'Opéra de Dijon pour réaliser nos enregistrements (1) et la Philharmonie de Paris qui nous accompagne depuis le départ. Nous sommes un projet itinérant mais avec des points d'ancrage, sans lesquels rien ne serait possible. D'autant plus qu'aujourd'hui nous initions des projets très lourds qui coûtent beaucoup d'argent. Cela ne s'improvise pas.
Vous débutez votre tournée en Suisse. Où en sont vos projets de concerts dans d'autres pays ?
David Grimal - Nous avons des projets à plus long terme. Nous verrons s'ils se réalisent ou pas - en Asie, en Amérique latine et toujours en Europe. Mais le problème, c'est l'économie. L'offre culturelle est pléthorique, nous sommes même dans un paysage saturé d'offres de tous ordres - et nous sommes en "concurrence" avec des orchestres très installés, subventionnés pour la plupart et qui coûtent moins cher à faire voyager. Les Dissonances sont très peu subventionnés par rapport à son budget artistique, même si cette année nous allons avoir plus de soutien de la part de l’État. Nous n'avons pas forcément encore trouvé les sponsors qui nous permettraient de réaliser de grandes tournées. Nous verrons bien. Beaucoup de structures aimeraient nous inviter mais sans en avoir les moyens.
Votre modèle d'orchestre sans chef est quasiment unique en France comme ailleurs ?
David Grimal - La dimension qu'a prise le projet est effectivement unique au monde. En revanche des orchestres sans chef pour des répertoires tels que ceux que nous avons enregistrés se sont développés. Mais nous avons bien été les premiers à exister.
Sur des répertoires d'œuvres symphoniques telles que les œuvres de Debussy ou Tchaïkovski, nous représentons un cas unique. Nous proposons un modèle nouveau qui doit faire la preuve de sa validité. Je crois que c'est en très bonne voie.
David Grimal - Le problème est de proposer quelque chose de cohérent et d'organisé quand on conteste les structures établies. On voit de tous les côtés la volonté de changer la donne et Les Dissonances y participe, bien entendu, mais c'est très difficile de faire bouger les lignes. On s'en aperçoit dans tous les domaines de la société. Il faut être patient et dans la proposition constructive.
Ce qui a été un catalyseur pour le projet de l'orchestre a été la résidence à l'Opéra de Dijon ?
David Grimal - Oui, un orchestre sans maison n'est pas possible et il est nécessaire d'avoir des résidences. Nous avons d'abord eu le soutien du Volcan au Havre puis la très belle salle de l'Opéra de Dijon pour réaliser nos enregistrements (1) et la Philharmonie de Paris qui nous accompagne depuis le départ. Nous sommes un projet itinérant mais avec des points d'ancrage, sans lesquels rien ne serait possible. D'autant plus qu'aujourd'hui nous initions des projets très lourds qui coûtent beaucoup d'argent. Cela ne s'improvise pas.
Vous débutez votre tournée en Suisse. Où en sont vos projets de concerts dans d'autres pays ?
David Grimal - Nous avons des projets à plus long terme. Nous verrons s'ils se réalisent ou pas - en Asie, en Amérique latine et toujours en Europe. Mais le problème, c'est l'économie. L'offre culturelle est pléthorique, nous sommes même dans un paysage saturé d'offres de tous ordres - et nous sommes en "concurrence" avec des orchestres très installés, subventionnés pour la plupart et qui coûtent moins cher à faire voyager. Les Dissonances sont très peu subventionnés par rapport à son budget artistique, même si cette année nous allons avoir plus de soutien de la part de l’État. Nous n'avons pas forcément encore trouvé les sponsors qui nous permettraient de réaliser de grandes tournées. Nous verrons bien. Beaucoup de structures aimeraient nous inviter mais sans en avoir les moyens.
Votre modèle d'orchestre sans chef est quasiment unique en France comme ailleurs ?
David Grimal - La dimension qu'a prise le projet est effectivement unique au monde. En revanche des orchestres sans chef pour des répertoires tels que ceux que nous avons enregistrés se sont développés. Mais nous avons bien été les premiers à exister.
Sur des répertoires d'œuvres symphoniques telles que les œuvres de Debussy ou Tchaïkovski, nous représentons un cas unique. Nous proposons un modèle nouveau qui doit faire la preuve de sa validité. Je crois que c'est en très bonne voie.
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Cependant un peu comme les modes de pensée alternative par rapport au monde politique traditionnel, toute une partie de la population est extrêmement sensible à notre action - et une autre partie tout à fait insensible. Je pense notamment à une partie du monde musical conservateur qui n'arrive même pas à envisager que notre projet puisse être intéressant.
Prenons un exemple, nos coffrets (2) récemment sortis ont eu un retentissement et un succès extraordinaires en Allemagne, en Angleterre dans tous les médias dont la presse musicale spécialisée. En France nous avons eu de très bons articles dans les médias généralistes mais rien dans la presse spécialisée ! Le seul magazine français de musique classique qui en a parlé jusqu'à présent ("Classica" pour ne pas le nommer) a consacré deux lignes en bout de revue à notre dernier coffret. Bref, neuf disques, deux DVD, deux lignes ! Voilà l'accueil qu'on nous fait dans une certaine presse spécialisée française ! Ont-ils même pris le temps d'écouter quelque chose ? À la lecture des quelques mots qui nous sont consacrés, on peut légitimement en douter…
Un orchestre sans chef dans ce répertoire d'œuvres assez monumentales est inenvisageable pour cette presse spécialisée ?
David Grimal - Les Dissonances est une entité qui ne rentre pas dans leurs schémas. Dans un monde conservateur, ce n'est pas un cas isolé. Beaucoup n'adhèrent pas à notre idéal ou tout simplement ne le comprennent-ils pas. Je le répète : ils ne se donnent même pas la peine de nous écouter. Notre orchestre, pourtant dans l'air du temps avec son idéal d'intelligence collective, de collaboration plus horizontale, de créativité un peu renouvelée, est en but à un complet désintérêt d'une partie du monde musical. C'est bien la preuve qu'il y a un hiatus.
Prenons un exemple, nos coffrets (2) récemment sortis ont eu un retentissement et un succès extraordinaires en Allemagne, en Angleterre dans tous les médias dont la presse musicale spécialisée. En France nous avons eu de très bons articles dans les médias généralistes mais rien dans la presse spécialisée ! Le seul magazine français de musique classique qui en a parlé jusqu'à présent ("Classica" pour ne pas le nommer) a consacré deux lignes en bout de revue à notre dernier coffret. Bref, neuf disques, deux DVD, deux lignes ! Voilà l'accueil qu'on nous fait dans une certaine presse spécialisée française ! Ont-ils même pris le temps d'écouter quelque chose ? À la lecture des quelques mots qui nous sont consacrés, on peut légitimement en douter…
Un orchestre sans chef dans ce répertoire d'œuvres assez monumentales est inenvisageable pour cette presse spécialisée ?
David Grimal - Les Dissonances est une entité qui ne rentre pas dans leurs schémas. Dans un monde conservateur, ce n'est pas un cas isolé. Beaucoup n'adhèrent pas à notre idéal ou tout simplement ne le comprennent-ils pas. Je le répète : ils ne se donnent même pas la peine de nous écouter. Notre orchestre, pourtant dans l'air du temps avec son idéal d'intelligence collective, de collaboration plus horizontale, de créativité un peu renouvelée, est en but à un complet désintérêt d'une partie du monde musical. C'est bien la preuve qu'il y a un hiatus.
Vous avez écrit un très beau billet "La culture n'est pas une entreprise" dans le Huffington Post du 29 mars (3).
David Grimal - En effet, la culture à mon sens, comme l'éducation ou la santé publique, ne devrait pas obéir aux mêmes lois que le reste des activités économiques. Il ne devrait pas être question d'intérêts particuliers mais de la relation à l'autre et à l'histoire. En somme, c'est le ciment de nos sociétés que l'on est en train de mettre en danger au nom d'idéaux absents, me semble-t-il…
Pour en revenir à cette presse spécialisée française, elle est extrêmement liée avec les majors du disque et avec le monde musical traditionnel, qui contrôle 90 % de ce qui se passe. Quel contraste saisissant entre la qualité de ce que fait Les Dissonances, l'enthousiasme et le niveau des musiciens sur le plateau (ils viennent des meilleures formations européennes), l'enthousiasme de notre public toujours plus nombreux, tous nos amis mobilisés, et ce mépris absolu - on peut dire cela - pour ce que nous sommes, pour notre existence même.
Fin de la 1ère partie. Interview réalisée le 3 mai 2016.
(1) Les Dissonances a créé son propre label, distribué par Harmonia mundi.
(2) Mozart "The 5 Violin Concertos" Les Dissonances - David Grimal, 2015.
Coffret des 10 ans des Dissonances (Beethoven, Bartok, Mozart, Schubert, Schnittke, Chostakovitch, Schönberg et l'intégrale des symphonies de Brahms en DVD), 2016.
(3) 8e Rencontres internationales du Forum "Entreprendre la culture" Bordeaux-Avignon.
Programme complet et renseignements :
>> les-dissonances.eu
David Grimal - En effet, la culture à mon sens, comme l'éducation ou la santé publique, ne devrait pas obéir aux mêmes lois que le reste des activités économiques. Il ne devrait pas être question d'intérêts particuliers mais de la relation à l'autre et à l'histoire. En somme, c'est le ciment de nos sociétés que l'on est en train de mettre en danger au nom d'idéaux absents, me semble-t-il…
Pour en revenir à cette presse spécialisée française, elle est extrêmement liée avec les majors du disque et avec le monde musical traditionnel, qui contrôle 90 % de ce qui se passe. Quel contraste saisissant entre la qualité de ce que fait Les Dissonances, l'enthousiasme et le niveau des musiciens sur le plateau (ils viennent des meilleures formations européennes), l'enthousiasme de notre public toujours plus nombreux, tous nos amis mobilisés, et ce mépris absolu - on peut dire cela - pour ce que nous sommes, pour notre existence même.
Fin de la 1ère partie. Interview réalisée le 3 mai 2016.
(1) Les Dissonances a créé son propre label, distribué par Harmonia mundi.
(2) Mozart "The 5 Violin Concertos" Les Dissonances - David Grimal, 2015.
Coffret des 10 ans des Dissonances (Beethoven, Bartok, Mozart, Schubert, Schnittke, Chostakovitch, Schönberg et l'intégrale des symphonies de Brahms en DVD), 2016.
(3) 8e Rencontres internationales du Forum "Entreprendre la culture" Bordeaux-Avignon.
Programme complet et renseignements :
>> les-dissonances.eu