© Vincent Pontet/Opéra national de Paris.
Vous voulez sortir de votre soirée sur un petit nuage, les yeux et les oreilles longtemps hantés par une mise en scène luxueusement drôle, profonde, et la bienheureuse musique d'un opéra comique (mais mélancolique aussi à sa façon subtile) ? Ne cherchez plus, c'est Wagner et ses "Maîtres chanteurs" qu'il vous faut. Quand se marient si heureusement une œuvre, sa transposition scénique et les artistes qui la font exister, alors oui, c'est à une soirée inoubliable que vous êtes conviés ! Ne vous laissez pas rebuter par les quatre heures et demie que dure l'opéra, elles filent comme le vent.
"Les Maîtres chanteurs de Nuremberg" est un des rares opéras considérés comme une comédie dans l'œuvre du maître de Bayreuth - démontrant que ce dernier était aussi capable de rire, de ce "rire significatif" dont a parlé Baudelaire (1). Quel en est le sujet ? Wagner s'intéresse dès 1845 (il a trente-deux ans) à un épisode historique de la vieille Allemagne. Au XVIe siècle à Nuremberg avait lieu chaque année (depuis deux siècles) un concours de chant organisé par des artisans qui étaient aussi des musiciens et des poètes. L'opéra met ainsi en scène une figure légendaire (et historique) de ces "Maîtres chanteurs" le cordonnier Hans Sachs, à l'œuvre prolifique. Wagner mettra vingt ans à écrire livret et musique d'un opéra qu'il conçoit d'abord pour être le pendant "satyrique" (2) (Sic !) du drame "Tannhäuser" - cet autre opéra sur "un tournoi des chanteurs à la Wartburg".
"Les Maîtres chanteurs de Nuremberg" est un des rares opéras considérés comme une comédie dans l'œuvre du maître de Bayreuth - démontrant que ce dernier était aussi capable de rire, de ce "rire significatif" dont a parlé Baudelaire (1). Quel en est le sujet ? Wagner s'intéresse dès 1845 (il a trente-deux ans) à un épisode historique de la vieille Allemagne. Au XVIe siècle à Nuremberg avait lieu chaque année (depuis deux siècles) un concours de chant organisé par des artisans qui étaient aussi des musiciens et des poètes. L'opéra met ainsi en scène une figure légendaire (et historique) de ces "Maîtres chanteurs" le cordonnier Hans Sachs, à l'œuvre prolifique. Wagner mettra vingt ans à écrire livret et musique d'un opéra qu'il conçoit d'abord pour être le pendant "satyrique" (2) (Sic !) du drame "Tannhäuser" - cet autre opéra sur "un tournoi des chanteurs à la Wartburg".
© Vincent Pontet/Opéra national de Paris.
Aux épreuves des chevaliers chanteurs (les nobles "Minnesänger") répondraient celles - comiques - des artisans (les "Meistersinger"), mais non moins capitales pour le compositeur allemand qui précisera "Je conçus Hans Sachs comme la dernière manifestation de l'esprit du peuple artistiquement créateur" (2). Fait d'importance pour un musicien qui participera activement aux émeutes révolutionnaires de 1848 à Dresde (et qui en paiera le prix fort). La cinquantaine venue et après quelques chefs-d'œuvre tel "Tristan et Isolde", Wagner retravaillera à son projet pour le parachever dans les années 1867-1868. Autant dire qu'il lui tenait à cœur. Entre temps, l'œuvre s'est évidemment chargée de significations plus riches.
Le livret s'attache à deux journées : la veille et le jour de la Saint-Jean alors qu'un jeune chevalier, Walther von Stolzing, fou amoureux de la fille d'un orfèvre (un des maîtres en question, Veit Pogner, qui la promet au vainqueur du concours), décide de se présenter au redoutable tournoi. Bien que complètement ignorant des règles rigides exigées par la tradition, son chant novateur et passionné finira par l'emporter malgré le conservatisme des maîtres - aidé en cela par le clairvoyant Hans Sachs. Avant cette victoire, nombre de péripéties et de déconvenues - dues en grande partie au rival, le greffier Sixtus Beckmesser - fournissent matière à des scènes émouvantes ou burlesques toutes à la gloire du printemps des arts et des cœurs.
Le livret s'attache à deux journées : la veille et le jour de la Saint-Jean alors qu'un jeune chevalier, Walther von Stolzing, fou amoureux de la fille d'un orfèvre (un des maîtres en question, Veit Pogner, qui la promet au vainqueur du concours), décide de se présenter au redoutable tournoi. Bien que complètement ignorant des règles rigides exigées par la tradition, son chant novateur et passionné finira par l'emporter malgré le conservatisme des maîtres - aidé en cela par le clairvoyant Hans Sachs. Avant cette victoire, nombre de péripéties et de déconvenues - dues en grande partie au rival, le greffier Sixtus Beckmesser - fournissent matière à des scènes émouvantes ou burlesques toutes à la gloire du printemps des arts et des cœurs.
© Vincent Pontet/Opéra national de Paris.
Et justement l'intelligente mise en scène de Stefan Herheim (d'une richesse visuelle incroyable) fait la part belle à la comédie sans jamais oublier le sens philosophique de ces "Maîtres chanteurs". Vrai manifeste artistique et patriotique, plaidoyer pro domo - on a coutume d'identifier Richard Wagner dans le dédoublement des vertus idoines du cordonnier et du chevalier -, l'opéra est ici saisi à travers la lutte qui oppose Beckmesser et Sachs pour la création d'une œuvre. Hans Sachs est un rêveur - et un grand enfant jouant aux marionnettes et autres distractions, côté cour - qui crée personnages et situations pour oublier la morne réalité de sa vie, de son atelier et la perte des aimés dont le portrait orne un des murs. Beckmesser s'ingénie évidemment à le contrarier, y compris dans les scènes rêvées dans lesquelles tous deux jouent un rôle central.
Ainsi, la vidéo projetée sur une toile tirée par Hans Sachs à chaque début d'acte permet de zoomer sur un détail de son atelier (on a pu l'observer dans son ensemble pendant le prélude), qui sur un bureau - devenant l'église du premier acte -, qui dans l'appentis du cordonnier (les personnages évoluant alors dans un décor géant au deuxième acte). Une fois tiré, le rideau fait place à la scène désirée - procédé très ingénieux. Transposée vers 1848, l'intrigue jouera ainsi à plein dans des effets d'agrandissement et de miniaturisation pittoresques et ludiques dans une esthétique assumée du style Biedermeier - rappelant involontairement (j'imagine) pour les concepteurs du spectacle la prose adamantine de Rimbaud dans "Alchimie du verbe" (3).
Ainsi, la vidéo projetée sur une toile tirée par Hans Sachs à chaque début d'acte permet de zoomer sur un détail de son atelier (on a pu l'observer dans son ensemble pendant le prélude), qui sur un bureau - devenant l'église du premier acte -, qui dans l'appentis du cordonnier (les personnages évoluant alors dans un décor géant au deuxième acte). Une fois tiré, le rideau fait place à la scène désirée - procédé très ingénieux. Transposée vers 1848, l'intrigue jouera ainsi à plein dans des effets d'agrandissement et de miniaturisation pittoresques et ludiques dans une esthétique assumée du style Biedermeier - rappelant involontairement (j'imagine) pour les concepteurs du spectacle la prose adamantine de Rimbaud dans "Alchimie du verbe" (3).
© Vincent Pontet/Opéra national de Paris.
Des personnages de contes de fées, issus des plis les plus secrets de l'inconscient des deux protagonistes (Hans et Sixtus très attirés par la belle Eva), envahissent souvent le plateau pour se livrer à de drôles d'orgies (en lieu et place des danses des apprentis et du peuple du livret). L'artiste, nous dit Stefan Herheim, est bien ce magicien qui a la faculté d'émerveiller le réel et enchanter la vie (la sienne comme la nôtre) - surtout si son imaginaire échappe à son contrôle.
Ici n'est pas seulement glorifiée la lyre du roi David (emblème des maîtres) mais aussi la joie de vivre (même si la mort n'est jamais loin, matérialisée par un crâne sur les étagères de Hans Sachs). Outre la beauté de la mise en scène et de l'opéra, frappé au coin de la tradition avec ses numéros, ses chœurs et ses danses, la distribution est de premier ordre. Gerald Finley, Hans Sachs inoubliable, est capable d'exalter toutes les nuances des sentiments grâce à un instrument flexible, beau dans tous les registres et à un jeu d'acteur brillant. Il porte son rôle à un sommet sans équivalent aujourd'hui.
Il est épaulé en outre par une solide troupe de chanteurs et un chœur qui ne l'est pas moins. Les onze autres maîtres chanteurs sont bien campés physiquement et vocalement, en premier lieu la basse autrichienne Günther Groissböck (en Veit Pogner). Les rôles importants sont de la même eau : l'apprenti malicieux David du ténor Toby Spence et son amoureuse (la Lene de Wiebke Lehmkuhl), le chevalier arrogant et fier-à-bras du ténor américain Brandon Jovanovich, l'Eva amoureuse de la grande soprano Julia Kleiter, en tête.
Ici n'est pas seulement glorifiée la lyre du roi David (emblème des maîtres) mais aussi la joie de vivre (même si la mort n'est jamais loin, matérialisée par un crâne sur les étagères de Hans Sachs). Outre la beauté de la mise en scène et de l'opéra, frappé au coin de la tradition avec ses numéros, ses chœurs et ses danses, la distribution est de premier ordre. Gerald Finley, Hans Sachs inoubliable, est capable d'exalter toutes les nuances des sentiments grâce à un instrument flexible, beau dans tous les registres et à un jeu d'acteur brillant. Il porte son rôle à un sommet sans équivalent aujourd'hui.
Il est épaulé en outre par une solide troupe de chanteurs et un chœur qui ne l'est pas moins. Les onze autres maîtres chanteurs sont bien campés physiquement et vocalement, en premier lieu la basse autrichienne Günther Groissböck (en Veit Pogner). Les rôles importants sont de la même eau : l'apprenti malicieux David du ténor Toby Spence et son amoureuse (la Lene de Wiebke Lehmkuhl), le chevalier arrogant et fier-à-bras du ténor américain Brandon Jovanovich, l'Eva amoureuse de la grande soprano Julia Kleiter, en tête.
© Vincent Pontet/Opéra national de Paris.
Et comme une histoire n'est bonne que si le méchant est réussi, le baryton danois Bo Skovhus nourrit son personnage (Beckmesser) de tout le talent de sa faconde primesautière. Enfin la direction de Philippe Jordan convainc (il a souhaité réévaluer les dynamiques et les subtilités de la partition a contrario d'une certaine tradition d'exécution - et son troisième acte est plus court d'un bon quart d'heure). Si son prélude s'ouvre sur un Motif des Maîtres chanteurs un peu trop doucereux, le chef suisse n'a pas sa pareille dans les Motifs lyrique ou de l'Idéal. Avec l'orchestre de l'opéra en état de grâce, il nous emporte loin et haut jusqu'au sommet de l'œuvre, un sublime troisième acte enchanteur.
(1) Non pas seulement hilarité factuelle mais vraie vision du monde, "De l'essence du rire", Charles Baudelaire, 1855.
(2) Voir "Une communication à mes amis", Robert Wagner, 1851.
(3) "J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanque, enseignes, enluminures populaires …" in "Une Saison en enfer", Arthur Rimbaud, 1873.
(1) Non pas seulement hilarité factuelle mais vraie vision du monde, "De l'essence du rire", Charles Baudelaire, 1855.
(2) Voir "Une communication à mes amis", Robert Wagner, 1851.
(3) "J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanque, enseignes, enluminures populaires …" in "Une Saison en enfer", Arthur Rimbaud, 1873.
© Vincent Pontet/Opéra national de Paris.
Samedi 5, mercredi 9, lundi 21, vendredi 25 et lundi 28 mars 2016 à 17 h 30.
Dimanche 13 mars 2016 à 14 h 30.
Opéra national de Paris, Place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90 (0,34 € TTC/min depuis un poste fixe hors coût éventuel selon opérateur).
>> operadeparis.fr
"Die Meistersinger von Nürnberg" (1868).
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883).
En allemand surtitré en français et en anglais.
Durée : 5 h 45 (avec deux entractes).
Dimanche 13 mars 2016 à 14 h 30.
Opéra national de Paris, Place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90 (0,34 € TTC/min depuis un poste fixe hors coût éventuel selon opérateur).
>> operadeparis.fr
"Die Meistersinger von Nürnberg" (1868).
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883).
En allemand surtitré en français et en anglais.
Durée : 5 h 45 (avec deux entractes).