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Casadesus, Buniatishvili et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg illuminent l'Annecy Classic Festival

Concert de très grande qualité mardi dernier pour l’ouverture de la quatrième édition de l’Annecy Classic Festival. Réunissant, à l’invitation de ses deux directeurs artistiques Pascale Escande et le soliste russe Denis Matsuev, une pianiste en état de grâce, Khatia Buniatishvili, un chef généreux et juvénile, Jean-Claude Casadesus, et un orchestre légendaire, le Philharmonique de Saint-Pétersbourg !



Jean-Claude Casadesus, Khatia Buniatishvili et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg © Yannick Perrin.
Une soirée émouvante à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle a permis à votre estimée reporter de retrouver Jean-Claude Casadesus, un chef d’orchestre qu’elle adore depuis longtemps, en fidèle de l’Orchestre National de Lille (se rappelant avoir essuyé les plâtres de l’Auditorium du Nouveau Siècle dans la capitale des Flandres…). Un chef toujours jeune à près de quatre-vingts ans et qui réussit évidemment à se faire aimer de l’orchestre russe en quelques rencontres et deux concerts, on le sent bien. Le programme est taillé sur mesure pour mettre en avant la spécificité et les qualités du Philharmonique saint-pétersbourgeois (plutôt jeune dans sa composition) : le "Prélude et la Mort d’Isolde" de Richard Wagner, vrais poèmes symphoniques luxuriants extraits du "Tristan", et le fameux "Boléro" de Maurice Ravel. Pour le dialogue avec un soliste, c’est avec la jeune géorgienne Khatia Buniatishvili que sera interprété l’un des deux Concertos pour piano de Frédéric Chopin, le deuxième en fa mineur.

Sans aucune pitié pour l’auditoire nombreux du festival, la soirée commence avec une plongée dans l’eau noire du Léthé, le puissant philtre orchestral wagnérien du Prélude de "Tristan et Isolde" avec un son dense et profond des cordes et des bois de l’orchestre. Nous voilà plongés dans les mystères du désir et prisonniers des liens ténébreux de la Volonté* à coup de cascades chromatiques. Jean-Claude Casadesus le dirige avec sa battue racée et enveloppante jusqu’au Liebestod orgiaque, et l’auditeur est bien sûr en larmes bien avant l’accord parfait final en si majeur, sa délivrance. N’est-ce pas épuiser toutes ses cartouches dès le début du concert avec une phalange de plus de cent musiciens - tout l’orchestre étant en résidence pour dix jours à Annecy ? Non.

Khatia Buniatishvili © Yannick Perrin.
Arrive alors la gracieuse Khatia Buniatishvili pour le deuxième Concerto de Frédéric Chopin, écrit à dix neuf ans par un jeune compositeur qui ne tardera pas à émigrer à Paris, dans le pays de son père. Cette jeune pianiste, qui fait sensation depuis son arrivée en France, n’a pas volé sa réputation. Avec un toucher soyeux, souple, aérien, une grande musicalité, une virtuosité sans ostentation, tout son art sert les nuances délicates du concerto de Chopin, débarrassé du folklore romantique qu’on nous sert parfois. La pianiste est une coloriste, telle une nouvelle Martha Argerich (qui l’a prise sous son aile). L’enfant prodige, qui joue depuis ses six ans, sait garder un calme olympien entre deux orages intérieurs avec son beau sourire de Joconde. Elle nous offre successivement des forte passionnés comme des pianissimi hypnotiques. Une belle émotion, soutenue par un orchestre à l’effectif réduit, très complice de sa talentueuse partenaire.

L’orchestre est à nouveau au complet pour la seconde œuvre au programme de Maurice Ravel : "La Pavane pour une infante défunte", puis le "Boléro", composé en 1928. Mettre au programme le "Boléro" pour un chef d’orchestre, c’est malin : les pupitres entrent un à un dans le rythme irrésistible de la caisse claire pour un seul thème et dans un crescendo démentiel. On peut juger sur pièce. "Mon Boléro devrait porter en exergue : Enfoncez vous bien cela dans la tête", écrit Ravel. C’est un fait. Et la texture orchestrale s’enrichit inexorablement : c’est fascinant d’observer la façon dont les musiciens du Philharmonique de Saint-Pétersbourg entrent dans la transe jusqu’à l’explosion finale. Casadesus les dirige avec joie, comme on accélère de plus en plus fort pour entendre vrombir le moteur d’un bolide. L’Orchestre Philharmonique nous a montré ce mardi qu’il faut toujours compter avec lui dans la saga des formations internationales, et avec de la musique française, s’il vous plaît ! Ne manquez pas leur concert de clôture le 30 août.

Jean-Claude Casadesus © Yannick Perrin.
Note :
* Cf. "Le Monde comme Volonté et comme Représentation", Arthur Schopenhauer.

Concert entendu le mardi 20 août 2013.
En multi rediffusions sur medici-tv.

Khatia Buniatishvili, piano.
Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg.
Jean-Claude Casadesus, direction.

Richard Wagner (1813 – 1883).
"Prélude et Liebestod", extraits de "Tristan und Isolde" (1859-1865).
Frédéric Chopin (1810 – 1849).
Concerto n°2 pour piano et orchestre.
Maurice Ravel (1875 – 1937).
"Pavane pour une infante défunte" (1910).
"Boléro" (1928).

Du 20 au 30 août 2013.
Annecy Classic Festival,
3 place du Château, Annecy (74).
+33 (0)4 50 51 67 67 (tickets).
+33 (0)4 50 51 35 14 (administration).
>> annecyclassicfestival.com

Tous les concerts du festival sont diffusés en direct sur medici-tv.

Christine Ducq
Vendredi 23 Aout 2013
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