Théâtre

"Brisby (blasphème)" Extinction "fabuleuse", vie et mort du monde d'après

Si certaines midinettes (tiens, ce mot n'a pas de masculin…) se repaissent encore de contes de fée pour s'évader à bon compte de notre monde délétère truffé d'injustices exponentielles et de guerres exterminatrices, on leur conseille – comme remède universel aux rêveries de pacotille – de se précipiter dans le monde selon "Brisby"… Là, sous des dehors souvent drôles, ce que l'on côtoie, paré d'un habit d'humour caustique, ce sont les affres à nulles autres pareilles d'un monde d'après… à l'agonie, une fin "éblouissante" du règne humain.



© Louise Ferrer.
Se découpant de l'obscurité où elle était plongée, une radieuse reine (Julie Papin) apparaît en tenue d'apparat. Mise en lumière dans son imposante robe d'un doré scintillant, elle trône en majesté. Le visage béat d'une illuminée, le ventre rebondi à souhait, enceinte jusqu'aux yeux qu'elle a magnifiques, elle accouche… d'une souris ! Comme ce n'était pas là visiblement l'élue attendue, elle la rejette, le ventre restant toujours aussi protubérant… Une entrée en matière peu suspecte de conformisme pour introduire à d'autres dimensions du même genre…

Un genre exclusivement féminin où les hommes ont disparu du paysage, éradiqués par on ne sait quelle infortune (ou félicité !). S'ils existent, les hommes, c'est sous la forme de vils porcs ayant engrossé les deux sœurs – aux noms mythologiques de Cassiopée et Radegonde - de la Reine Pénéplaine, leur inoculant l'étrange mal fatal, décimant la population de ce royaume échappé d'un récit de SF apocalyptique… Ainsi retranchées sous un dôme de verre les protégeant de la fournaise extérieure (le réchauffement climatique n'est plus ici un sujet de controverse, n'en déplaise aux climatosceptiques de 2023), la solaire reine, sa secrétaire aux penchants hystériques, ses deux geignardes sœurs, et leur rossignol femelle, vont vivre une nouvelle version de "Huis Clos" ; une ultime épopée incarnée par l'actrice seule en scène, endossant toutes les voix y compris celle de la narratrice commentant l'action, se démenant avec éclats pour faire vivre ce voyage au bout de la nuit de l'humanité.

© Pierre Planchenault.
Elle avait l'air heureuse… mais jusqu'à quel point… Attendant l'heureux événement, elle n'a toujours pas trouvé de prénom pour "la" nommer. "La" ? Car il ne peut s'agir que d'une fille… Pour sauver l'humanité, le nouveau Messie sera… une Messie. Elle s'appellera Brisby (et non Brise bite comme le méchant peuple aigri le vocifère). Retenons : ici, il fait trop chaud, dehors ça pue la mort à plein nez, et Pénéplaine est très enceinte. Comment s'est-elle retrouvée en cloque ? Tout "naturellement" sous l'effet du faisceau de l'Impératrice de l'univers venue la visiter pour, de ses rayons ardents, la féconder. Une opération de la Sainte Esprit pas plus invraisemblable qu'une autre, celle d'une très vieille histoire, vieille comme l'humanité et écrite dorénavant sur papier bible.

Les données de base étant actées, l'action va battre son plein, déferlant par vagues impétueuses sur le plateau meublé d'un miroir et d'un buffet (froid) regorgeant d'actes de décès. Entre les cris de joie de la mère-miracle et ceux de désespoir de ses sœurs malades mêlés en voix off aux vociférations du peuple sacrifié, une dystopie à allure de farce shakespearienne va parcourir les étapes de son chemin de croix vers leur point de fusion. D'abord, ce sera l'unique mouche encore vivante qui en fera les frais, puis la rossignole - cui cui à l'étouffé - donnant lieu à une scène hilarante valant son pesant de plumes…

© Pierre Planchenault.
Dans le catalogue des catas annoncées, l'horoscope tient aussi son rôle. Et tout cela dans la bonne humeur exaltée de celle qui porte en elle la solution (finale) aux problèmes ! Et puis les cloches ne sonnent-elles pas pour apporter des cadeaux ? Oh pas grand-chose, de la myrrhe et de l'encens, comme un parfum de déjà-vu. Pourtant, ça pue de plus en plus…

La voix de la quatrième sœur morte s'en mêlera jusqu'à une curieuse lettre anonyme expliquant pourquoi, in fine, la supposée sauveuse déclinera l'offre d'emploi que sa chère mère pleine de grâce lui avait faite… Écho décalé du superbe roman au vitriol de Thomas Bernhard au titre évocateur d'"Extinction", qui s'ingéniait à décrire par le menu la décomposition d'une société autrichienne gangrénée par les miasmes du saint "esprit catholico-national-socialiste", "Brisby" nous conte par le biais d'une fantaisie aux allures magnifiquement facétieuses une autre extinction, planétaire celle-ci.

Une dystopie ébouriffante menée tambour battant, musiques endiablées à l'appui, et narrant avec un humour mordant une fable éternelle : celle d'une humanité qui ne pourrait être sauvée de ses propres dérives que par un Grand Autre venu d'ailleurs… Et en maîtresse de la célébration de cette fin de règne époustouflante, Julie Papin, ancienne élève de l'éstba de Bordeaux Aquitaine, excelle.

Vu le vendredi 10 novembre au Lieu sans nom à Bordeaux.

"Brisby (blasphème)"

© Pierre Planchenault.
Texte : Théophile Dubus.
Mise en scène : Julie Papin et Lucas Chemel.
Jeu : Julie Papin.
Création sonore : Hervé Rigaud.
Création lumière : Véronique Bridier.
Conception costume : Marilène Bastien.
Par la Compagnie Le Chant de la Louve.
Durée : 55 minutes.

Représenté les jeudi 9, vendredi 10, samedi 11 novembre et dimanche 12 novembre 2023 au Lieu Sans Nom à Bordeaux.

Tournée
12, 14 et 15 décembre 2023 : Théâtre de l'Élysée, Lyon (69).

Yves Kafka
Vendredi 24 Novembre 2023
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