© Monika Rittershaus/Opera national de Paris.
Après la prenante création de "Trompe-la-Mort" de Luca Francesconi la saison dernière, l'Opéra de Paris poursuit son programme de commandes d'œuvres lyriques composées à partir de chefs-d'œuvre de la littérature française, dans le cadre des commémorations des 350 ans de la noble maison.
Cette année, c'est donc au compositeur suisse Michael Jarrell qu'a été confiée la belle mission de faire de la sublime tragédie de Jean Racine un opéra d'aujourd'hui. Au regard d'un résultat que nous estimons décevant, espérons que l'œuvre à venir sur "Le Soulier de satin" de Paul Claudel sera plus réussie, renouant avec le geste lyrique qui manque tant au "Bérénice" de M. Jarrell.
L'affiche avait pourtant de quoi attirer le passionné d'opéra. Avec des chanteurs aussi intéressants que ceux qui se dévouent pour donner vie à cet opus inédit (Hannigan, Skovhus, entre autres), avec un metteur en scène et son équipe controversés mais talentueux, et avec un grand chef à la tête d'un des meilleurs orchestres en activité, la création de "Bérénice" a tout d'un événement.
Cette année, c'est donc au compositeur suisse Michael Jarrell qu'a été confiée la belle mission de faire de la sublime tragédie de Jean Racine un opéra d'aujourd'hui. Au regard d'un résultat que nous estimons décevant, espérons que l'œuvre à venir sur "Le Soulier de satin" de Paul Claudel sera plus réussie, renouant avec le geste lyrique qui manque tant au "Bérénice" de M. Jarrell.
L'affiche avait pourtant de quoi attirer le passionné d'opéra. Avec des chanteurs aussi intéressants que ceux qui se dévouent pour donner vie à cet opus inédit (Hannigan, Skovhus, entre autres), avec un metteur en scène et son équipe controversés mais talentueux, et avec un grand chef à la tête d'un des meilleurs orchestres en activité, la création de "Bérénice" a tout d'un événement.
© Monika Rittershaus/Opera national de Paris.
Pourtant, hormis les très beaux décors de Christian Schmidt, les lumières artistiques de Fabrice Kebour, la vidéo de Roland Horvath et Carmen Zimmermann, et l'engagement indéniable de tous les artistes (solistes, chef et instrumentistes), rien n'émeut, tout ennuie ou agace dans cette "Bérénice". La faute à une mise en scène et à une partition qui alignent les poncifs d'un autre âge.
Premier constat, Michael Jarrell n'a guère servi le superbe texte racinien. La tragédie de 1670 (un haut chant de déploration au sujet tiré de Suétone : Titus devient empereur. Selon la loi romaine, il ne peut épouser son grand amour, Bérénice reine de Judée, et la renvoie "malgré lui et malgré elle") ne subsiste qu'à l'état de lambeaux dans le livret écrit par le compositeur né en 1958.
Plus grave : outre l'impression de caviardage des alexandrins - nécessaires selon M. Jarrell pour laisser la place à la musique - le compositeur suisse planifie chevauchements de discours et tirades explosées, suturées bien qu'appartenant à différentes scènes. Ceci donnant souvent une impression de cacophonie pénible.
Premier constat, Michael Jarrell n'a guère servi le superbe texte racinien. La tragédie de 1670 (un haut chant de déploration au sujet tiré de Suétone : Titus devient empereur. Selon la loi romaine, il ne peut épouser son grand amour, Bérénice reine de Judée, et la renvoie "malgré lui et malgré elle") ne subsiste qu'à l'état de lambeaux dans le livret écrit par le compositeur né en 1958.
Plus grave : outre l'impression de caviardage des alexandrins - nécessaires selon M. Jarrell pour laisser la place à la musique - le compositeur suisse planifie chevauchements de discours et tirades explosées, suturées bien qu'appartenant à différentes scènes. Ceci donnant souvent une impression de cacophonie pénible.
© Monika Rittershaus/Opera national de Paris.
Un comble pour un des plus merveilleux poèmes français - qu'on se surprend à tenter de reconstituer, générant finalement une attente toujours déçue. Les propos paradoxaux du compositeur sur la prosodie (selon lui) incertaine du français - une langue "chewing-gum" (sic) - et le caractère corseté (sic) des alexandrins raciniens expliquent sans doute bien des choses. Mais alors pourquoi accepter une telle commande ?
Les actes sont devenus des "séquences" et le plateau se divise en "espaces" numérotés (sur le livret) : Bérénice en combinaison rouge se tient côté jardin, Titus en maillot ou doté d'un long manteau (signe de pouvoir) côté cour. L'espace du milieu se fait cabinet où espère et se roule Antiochus, ou "zone de conflit" pour les amants. On se croirait revenu au bon temps du structuralisme. Le palais, quant à lui, glisse latéralement ou avance et recule du fond du plateau vers la fosse, symbolisant sans doute les tourments des personnages tiraillés entre devoir et passion - des signaux anecdotiques dont on aurait pu se passer.
La partition n'impose réellement ni discours ni narration, mais égrène des motifs fragmentaires (à l'image des mots et des "vers" brisés du livret) parfois répétés, en une texture trouée mobilisant divers instruments ou pupitres séparément. Le geste instrumental au sein d'un développement éclaté semble privilégié aux dépens d'un tissu dramaturgique.
Les actes sont devenus des "séquences" et le plateau se divise en "espaces" numérotés (sur le livret) : Bérénice en combinaison rouge se tient côté jardin, Titus en maillot ou doté d'un long manteau (signe de pouvoir) côté cour. L'espace du milieu se fait cabinet où espère et se roule Antiochus, ou "zone de conflit" pour les amants. On se croirait revenu au bon temps du structuralisme. Le palais, quant à lui, glisse latéralement ou avance et recule du fond du plateau vers la fosse, symbolisant sans doute les tourments des personnages tiraillés entre devoir et passion - des signaux anecdotiques dont on aurait pu se passer.
La partition n'impose réellement ni discours ni narration, mais égrène des motifs fragmentaires (à l'image des mots et des "vers" brisés du livret) parfois répétés, en une texture trouée mobilisant divers instruments ou pupitres séparément. Le geste instrumental au sein d'un développement éclaté semble privilégié aux dépens d'un tissu dramaturgique.
© Monika Rittershaus/Opera national de Paris.
Même si les métamorphoses sonores (laissant entendre surtout le refus de la transition et le caractère isolé des séquences) parviennent à quelques reprises à se densifier en une houle plus expressive - on songe aux trois intermèdes proprement orchestraux aux longs traits menaçants intéressant davantage. Une écriture qui s'inscrit clairement dans l'héritage du sérialisme et de la musique spectrale. Un zeste de bruitisme, des recours à l'électro-acoustique caractérisent aussi une écriture qui aurait pu paraître novatrice au siècle dernier. Mais voilà, nous sommes en 2018.
Malgré l'investissement et le talent des chanteurs donc, l'écriture vocale ne séduit pas davantage avec son recours systématique à un usage des hauteurs quelque peu désuet. La voix parlée prend souvent le pas - et on ne sent guère la nécessité de réserver un rôle uniquement parlé (en hébreu) pour Phénice, la confidente de Bérénice.
Les passages acrobatiques de registres s'avèrent une épreuve pour les artistes (et l'auditeur), que le jeu outré et grotesque imaginé par Claus Guth pour eux n'arrange guère. On reste de marbre, hélas, devant ces nobles personnages raciniens, réduits ici à n'être que de chétives silhouettes d'un spectacle d'un autre âge - cet âge périmé où l'opéra et le chant n'avaient plus droit de cité.
Malgré l'investissement et le talent des chanteurs donc, l'écriture vocale ne séduit pas davantage avec son recours systématique à un usage des hauteurs quelque peu désuet. La voix parlée prend souvent le pas - et on ne sent guère la nécessité de réserver un rôle uniquement parlé (en hébreu) pour Phénice, la confidente de Bérénice.
Les passages acrobatiques de registres s'avèrent une épreuve pour les artistes (et l'auditeur), que le jeu outré et grotesque imaginé par Claus Guth pour eux n'arrange guère. On reste de marbre, hélas, devant ces nobles personnages raciniens, réduits ici à n'être que de chétives silhouettes d'un spectacle d'un autre âge - cet âge périmé où l'opéra et le chant n'avaient plus droit de cité.
© Monika Rittershaus/Opera national de Paris.
Du 29 septembre au 17 octobre 2018.
Retransmission sur France Musique le 5 décembre 2018 à 20 h.
Opéra national de Paris.
Place de l'Opéra, Paris 9e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
"Bérénice" (2018).
Opéra en quatre séquences.
Musique et livret de Michael Jarrell (1958).
En langue française surtitrée en français et en anglais.
Durée : 1 h 30 sans entracte.
Retransmission sur France Musique le 5 décembre 2018 à 20 h.
Opéra national de Paris.
Place de l'Opéra, Paris 9e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
"Bérénice" (2018).
Opéra en quatre séquences.
Musique et livret de Michael Jarrell (1958).
En langue française surtitrée en français et en anglais.
Durée : 1 h 30 sans entracte.
© Monika Rittershaus/Opera national de Paris.
Philippe Jordan, direction musicale.
Claus Guth, mise en scène.
Christian Schmidt, décors, costumes.
Fabrice Kebour, lumières.
Rocafilm, vidéo.
Bo Skovhus, Titus.
Barbara Hannigan, Bérénice.
Ivan Ludlow, Antiochus.
Alastair Miles, Paulin.
Julien Behr, Arsace.
Rina Schenfeld, Phénice (rôle parlé).
Julien Joguet, voix parlée (enregistrée).
Orchestre et Chœurs (chœur enregistré) de l'Opéra national de Paris.
Alessandro di Stefano, Chef des chœurs.
Claus Guth, mise en scène.
Christian Schmidt, décors, costumes.
Fabrice Kebour, lumières.
Rocafilm, vidéo.
Bo Skovhus, Titus.
Barbara Hannigan, Bérénice.
Ivan Ludlow, Antiochus.
Alastair Miles, Paulin.
Julien Behr, Arsace.
Rina Schenfeld, Phénice (rôle parlé).
Julien Joguet, voix parlée (enregistrée).
Orchestre et Chœurs (chœur enregistré) de l'Opéra national de Paris.
Alessandro di Stefano, Chef des chœurs.
© Monika Rittershaus/Opera national de Paris.