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Avec Pommerat, chacun trouve son conte...

"Cendrillon", Odéon-Théâtre de l’Europe, Atelier Berthier, Paris + Tournée 2012

Après "Pinocchio" et "Le Petit Chaperon rouge", Joël Pommerat continue son parcours passionnant à travers les contes de notre enfance et revisite aujourd’hui le mythe de Cendrillon.



Cendrillon © Cici Olsson
Si l’erreur est humaine, on est en droit de se demander si Joël Pommerat est tout à fait humain… car d’erreurs, il n’en commet pas. En quelques années, il s’est imposé en Europe comme l’une des figures incontournables du théâtre contemporain. Adulé par des milliers d’aficionados, surtout par la jeunesse, chacune de ses créations est attendue avec une impatience palpable. Et chaque fois, c’est un coup de maître, qui ne déçoit jamais. Comment réussit-il cette prouesse de créer tant de chefs d’œuvres à la suite ? Quand nous décevra-t-il ? Le plus tard possible, bien entendu ! Cette Cendrillon ne déroge pas à la règle. Encore un miracle au royaume du spectacle tout public. Toucher et émerveiller toutes les générations, parler à chacun avec les mêmes mots que l’on ait 8 ans ou 88 ans, alterner d’une main de maître le rire et l’émotion, distraire tout en proposant une vraie réflexion philosophique… voilà la recette d’un Graal que l’on pense inatteignable mais que Pommerat nous offre pourtant aujourd’hui.

Une des grandes prouesses de ce spectacle, outre son extraordinaire créativité visuelle, est sans doute de tisser si étroitement le rire et l'émotion, pour former un tissu qui ressemble vraiment à la vie, protéiforme par excellence. À l'origine de tout, il y a la mère. Ou plutôt son absence. Et si la tradition populaire avait occulté ce détail en présentant simplement Cendrillon comme une petite orpheline ? Pommerat décide de rendre à cette génitrice tout son poids et son rôle, plaçant même en elle la clé de son histoire.

Cendrillon © Cici Olsson
La mère, par son absence, prend donc toute sa place : Cendrillon, par exemple, programme sa montre pour qu’elle sonne toutes les cinq minutes afin que jamais elle ne cesse de penser à sa mère, persuadée que l’oubli est encore pire que la mort. Cette petite sonnerie, ridicule, obsédante, irritante, revient comme un leitmotiv dont l’excès finit par provoquer un rire nerveux. On assiste, par un tour de magie visuel dont Pommerat a le secret, à la mort de la mère, avec une Cendrillon bien présente et une mère déjà absente. Le spectacle a commencé depuis quelques minutes à peine, et notre gorge est déjà serrée devant cette image : le père, tirant en arrière sa fille qui se débat de toutes ses forces en direction de sa mère alitée, tentant dans un dernier sursaut de lutter contre l’évidence pour rester avec elle. Quelques secondes plus tard, on ne peut s’empêcher de rire devant une scène des plus burlesques : deux personnages communiquant à travers une baie vitrée et qui bien sûr ne se comprennent pas. Le revirement est total, magistral, parfait. C’est du grand art et Pommerat soufflera ainsi le chaud et le froid tout au long d’un spectacle sans fautes, où tout est à sa place, où pas un mot, pas un geste, pas un silence ne sont de trop.

Le cœur de cette réussite réside aussi dans sa distribution, homogène, impeccable. Une troupe d'acteurs belge que nous découvrons avec bonheur. En tête, bien sûr, il y a cette Cendrillon que compose magistralement Deborah Rouach, dans un mélange parfait de force de conviction et de fragilité propre aux enfants, avec une gouaille irrésistible. On ne saurait plus lui donner un âge. Catherine Metstoussis, ensuite, réussit la prouesse d'incarner une belle-mère loin des clichés en donnant à son personnage une grande profondeur, une grande humanité - pas au sens de bonté, bien sûr, mais plutôt de complexité psychologique. Elle n'est pas une marâtre de conte. Mais une femme, veuve, autoritaire certes, adorant ses filles plus que tout, voulant maîtriser sa vie et leur offrir le meilleur... On ne peut la détester entièrement, même si elle est odieuse dans ses excès. Et à la comédienne de nous la rendre extraordinairement proche de nous.

Et puis il y a les sœurs... Duo hallucinant (une grande mince et une petite rondelette), cruellement drôles, qui réalisent une véritable performance d’acteurs. Leur talent immense se révèle lorsque l'on comprend qu'elles incarnent chacune un autre personnage. Noémie Carcaud, en effet, est aussi la fée. On met d'ailleurs un temps fou à reconnaître dans cette fée un peu maladroite, mais tellement gentille, la grande sœur bête et tyrannique que l’on détestait quelques secondes avant. De même, Caroline Donnelly joue aussi le prince. Elle offre un la vision d'une figure royale très jeune, très perturbé aussi, par l’absence de sa mère, ployant sous le fardeau des obligations de son rang, seul, infiniment seul, malgré un père qui fait ce qu’il peut. Avec Cendrillon, ce prince improbable compose un couple bouleversant.

Pommerat nous a ciselé un joyau resplendissant de mille feux, un chef d’œuvre théâtral, esthétique et psychologique, drôle et émouvant, une actualisation d’une pertinence sans conteste, où chacun trouve son conte… En un mot : merci ! Merci Monsieur Pommerat de créer de si belles choses.

"Cendrillon"

Cendrillon © Cici Olsson
(Vu le 9 novembre)

D’après le mythe de Cendrillon.
Texte et mise en scène : Joël Pommerat.
Avec : Alfredo Canavate, Noémie Carcaud, Marcella Carrara, Caroline Donnelly,
Catherine Mestoussis, Deborah Rouach, Nicolas Nore, José Bardio.
Scénographie et lumières : Eric Soyer.
Costumes : Isabelle Deffin.
Son : François Leymarie.
Musique originale : Antonin Leymarie.
Vidéo : Renaud Rubiano.
Assistant lumières : Gwendal Malard.
Assistant mise en scène : Pierre-Yves Le Borgne.
Perruques : Laura Lamouchi.
Réalisation décor et costumes : ateliers du Théâtre National de Bruxelles.
Durée: 1 h 30.
Spectacle pour tous à partir de 8 ans.

Spectacle du 5 novembre au 25 décembre 2011.
Odéon-Théâtre de l’Europe, Atelier Berthier, Paris 17e, 01 44 85 40 40.
>> www.theatre-odeon.fr

Tournée :
Du 25 au 27 avril 2012 : Forum de Meyrin, Meyrin (Suisse).
Du 4 au 5 mai 2012 : Théâtre de Brétigny, Brétigny-Sur-Orge (91).
Du 9 au 16 mai 2012 : TNB, Rennes (35).
Du 22 au 25 mai 2012 : La Comédie de Béthune, Béthune (62).
Du 31 mai au 1er juin 2012 : Le Carreau, Forbach (57).

Mickaël Duplessis
Mardi 22 Novembre 2011
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