La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Une légende se défait, une autre naît, interprétée par deux comédiens en devenir mais au talent certain

"Légende d'une vie", Théo-Théâtre, Paris

Caroline Rainette fonde en 2012 la Compagnie Étincelle qui s'emploie à reprendre les textes de monuments littéraires tels que Cocteau, Musset ou Zweig pour cette fois. Elle traduit et adapte pour la première fois en France "Légende d'une vie" accompagné du comédien Lennie Coindeaux. Les deux jeunes artistes font honneur à la mémoire de l'immense écrivain.



© DR.
© DR.
Depuis toujours, l'une des grandes quêtes de l'homme est celle de l'accès à l'immortalité. Pour pallier cette capacité qui lui faisait défaut, il a trouvé deux solutions : l'immortalité par la procréation et l'immortalité par la création. Par l'engendrement, par la filiation, l'homme ne fait que retarder cette mortalité inévitable, il lui accorde quelques années de plus et ce sera ensuite le rôle de sa descendance de poursuivre ce combat infini. Par l'art, il laisse une trace indélébile de son passage sur Terre. L’œuvre survit à l'auteur.

Friedrich Marius Franck, fils du très apprécié feu Karl Amadeus Franck, poète talentueux, rend une lecture publique de ses premières œuvres ce soir dans sa demeure. Jusqu'alors, personne n'avait jamais rien entendu de ses poèmes et le jeune homme craint de ne provoquer immanquablement la déception. Il n'est pas considéré comme un poète mais comme fils de poète et sait que la communauté d'invités qui se présentera tout à l'heure chez lui ne vient pas pour lui mais en la mémoire de son père.

L'atmosphère est telle qu'on la perçoit dans l'écriture de Zweig : intimiste, cloîtrée, étouffante. Nous ne sommes pas conviés à la lecture mais nous sommes les auditeurs des coulisses, là où se manifestent les émotions bien habituelles que sont la révolte, la peur, l'ambition ou encore l'amour. Nous partageons la confession d'un cœur partagé entre deux femmes, entre la mortalité et l'éternité. L'une aime l'homme, l'autre en aime le poète.

© DR.
© DR.
Les sièges installés près de la scène, le public proche de l'action, on se sent les témoins d'un secret de famille que, plus que le partager, nous voulons nous approprier. Nous voulons faire nôtres les questions de Friedrich, nous voulons découvrir cette vérité vraie, cette vérité cachée, enterrée, tout comme l'était cet autre. Cet autre, c'est cette autre femme, amante déshéritée de son titre alors qu'elle lui a tout donné ; cet autre, c'est cet autre homme tellement admiré, tellement vénéré qu'on en avait oublié que lui aussi était humain.

Les lumières vacillent au gré des états d'âme de celui qui attend de savoir qui il est vraiment. Et c'est en tuant la légende que la vie s'accomplit, que le héros devient lui. Empêtré dans une ombre dans laquelle il s'était en parti lui-même emprisonné, il s'affranchit désormais de celui qu'on attendait qu'il soit pour devenir celui qu'il veut être.

Ce qui nous marque le plus dans cette représentation, c'est la considérable implication émotionnelle et personnelle dont font preuve les deux comédiens. Cette peur paralysante du regard des autres sur son travail et sur sa personne que ressent Friedrich semble avoir été exactement vécue par le comédien Lennie Coindeaux. La honte qui s'empare de Clarissa résonne plus dans le corps de celle qui joue que dans le corps de celle qui est jouée. Les artistes ne simulent pas, ils sont. La prestation est tout simplement stupéfiante, l'illusion impressionnante.

Un seul mot : bravo.

"Légende d'une vie"

© DR.
© DR.
Texte : Stefan Zweig.
Adaptation : Caroline Rainette.
Mise en scène Caroline Rainette et Lennie Coindeaux.
De et avec : Lennie Coindeaux et Caroline Rainette.
Avec la voix de : Patrick Poivre d'Arvor.
Compagnie Étincelle et Compagnie Thylen.
Durée : 1 h 20.

Du 7 au 30 juillet 2017.
Vendredi et samedi à 19 h, les dimanches à 17 h.
Relâches les 14, 15 et 16 juillet.
Théo Théâtre, Paris 15e, 01 45 54 00 16.
>> theotheatre.com

Ludivine Picot
Samedi 15 Juillet 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024