Comment démontrer que la phalange de la "Grande Boutique" est devenue, après plus de dix ans de travail avec son chef suisse, Philippe Jordan, le meilleur orchestre de France ? En programmant "Verklärte Nacht" opus 4 dans sa version orchestrale de 1917 (une œuvre destinée d'abord en 1898 au sextuor, dont les mélomanes se chuchotent le nom avec ravissement tel un secret d'initié, et plus encore pour cette transcription destinée à une soixantaine de cordes) et "Eine Alpensinfonie" opus 64, massif tout aussi sublime écrit pour un effectif considérable (de cent à près de cent quarante musiciens selon le cas) en 1915.
Mais si nous n'étions ni à Vienne en 1917 ni à Berlin en 1915, mais à Paris en 2020 (une période peut-être à peine moins sombre en cette soirée de vendredi 16 octobre au vu de l'actualité), le voyage musical offert dans une nature rêvée fut à la hauteur des promesses. Une Nature post-romantique symbolisée avec une intensité expressive rare par les tournures mélodiques d'un jeune Arnold Schönberg évoquant la promenade en forêt d'un couple en crise (celui du poème de Richard Dehmel cité en exergue de la partition).
Mais si nous n'étions ni à Vienne en 1917 ni à Berlin en 1915, mais à Paris en 2020 (une période peut-être à peine moins sombre en cette soirée de vendredi 16 octobre au vu de l'actualité), le voyage musical offert dans une nature rêvée fut à la hauteur des promesses. Une Nature post-romantique symbolisée avec une intensité expressive rare par les tournures mélodiques d'un jeune Arnold Schönberg évoquant la promenade en forêt d'un couple en crise (celui du poème de Richard Dehmel cité en exergue de la partition).
Mais aussi la randonnée dans les Alpes Bavaroises d'un artiste affrontant les vingt-deux étapes initiatiques d'une expérience existentielle en une seule coulée océanique (du lever du soleil jusqu'à la nuit) : une journée somptueusement transfigurée par la composition pour grand orchestre post-wagnérien et malhérien d'un Richard Strauss au sommet de ses moyens. Une fresque géniale qui eut pour premier titre "La tragédie de l'Artiste", sous influence de la lecture de F. Nietzsche.
Quel plus bel hommage Schönberg pouvait-il rendre à l'ami Dehmel, amant suicidé de sa future femme Mathilde von Zemlinsky, sa dédicataire ? La subtile marqueterie sonore sous double influence brahmsienne (pour la structure en développement) et wagnérienne (pour l'écriture tonale instable et les audaces harmoniques) trouve son interprétation idéale dans l'entrelacement subtil des voix claires et graves des cordes de l'orchestre parisien.
Des cordes à la sonorité transparente, tour à tour rondes ou âpres, soyeuses et virtuoses, qui exhaussent les émotions rares exposées en cinq parties enchaînées de cette tragédie intime de l'amour trahi et du pardon. De dialogues tourmentés en motifs gravement martelés, des bruissements avec sourdine au flux et reflux dynamiques jusqu'à la longue coda lyrique, les cordes de l'Orchestre de l'Opéra impressionnent et bouleversent sous la direction élégante et habitée de Philippe Jordan. L'occasion aussi de découvrir le nouveau premier violon solo de la formation, l'impressionnant Petteri Livonen.
Dans la seconde partie du programme, la scène se remplit de plus d'une centaine de musiciens et toujours sans partition, le chef suisse fait comme à son habitude la preuve de son absolue maîtrise et de son ambition dans cette fresque de près de cinquante minutes. Un effectif considérable et un instrumentarium complexe (dont deux harpes, quatre tubas, des machines à vent et à tonnerre, une fanfare derrière la scène, un orgue, des cloches à vaches, un tam-tam et le heckelphone de "Salomé" et "Elektra", entre autres) sont les instruments nécessaires pour ce poème symphonique grandiose d'un compositeur qui se voulait "Ausdruckmusiker", quoique peintre plus post romantique qu'expressionniste ici.
Dès le prélude, de la fin de la nuit au lever du soleil en fortissimo éclatant de tout l'orchestre en une ascension mélodique et rythmique irrésistible (rappelant celle du "Also spracht Zarathustra" de 1896), le ton est donné, celui d'une expérience du sublime telle que l'ont théorisée les philosophes et écrivains allemands des XVIIIe et XIXe siècles.
Quel plus bel hommage Schönberg pouvait-il rendre à l'ami Dehmel, amant suicidé de sa future femme Mathilde von Zemlinsky, sa dédicataire ? La subtile marqueterie sonore sous double influence brahmsienne (pour la structure en développement) et wagnérienne (pour l'écriture tonale instable et les audaces harmoniques) trouve son interprétation idéale dans l'entrelacement subtil des voix claires et graves des cordes de l'orchestre parisien.
Des cordes à la sonorité transparente, tour à tour rondes ou âpres, soyeuses et virtuoses, qui exhaussent les émotions rares exposées en cinq parties enchaînées de cette tragédie intime de l'amour trahi et du pardon. De dialogues tourmentés en motifs gravement martelés, des bruissements avec sourdine au flux et reflux dynamiques jusqu'à la longue coda lyrique, les cordes de l'Orchestre de l'Opéra impressionnent et bouleversent sous la direction élégante et habitée de Philippe Jordan. L'occasion aussi de découvrir le nouveau premier violon solo de la formation, l'impressionnant Petteri Livonen.
Dans la seconde partie du programme, la scène se remplit de plus d'une centaine de musiciens et toujours sans partition, le chef suisse fait comme à son habitude la preuve de son absolue maîtrise et de son ambition dans cette fresque de près de cinquante minutes. Un effectif considérable et un instrumentarium complexe (dont deux harpes, quatre tubas, des machines à vent et à tonnerre, une fanfare derrière la scène, un orgue, des cloches à vaches, un tam-tam et le heckelphone de "Salomé" et "Elektra", entre autres) sont les instruments nécessaires pour ce poème symphonique grandiose d'un compositeur qui se voulait "Ausdruckmusiker", quoique peintre plus post romantique qu'expressionniste ici.
Dès le prélude, de la fin de la nuit au lever du soleil en fortissimo éclatant de tout l'orchestre en une ascension mélodique et rythmique irrésistible (rappelant celle du "Also spracht Zarathustra" de 1896), le ton est donné, celui d'une expérience du sublime telle que l'ont théorisée les philosophes et écrivains allemands des XVIIIe et XIXe siècles.
Avec ses vingt deux étapes (évoquant ci et là les opéras d'avant 1910 en un langage peut-être moins audacieux mais pas moins éloquent) alternant ses "Moments pleins de périls", ses visions, son pittoresque, sa célébration mystique du sommet atteint par une sorte de double de l'artiste créateur, avant un orage mémorable - l'un des plus impressionnants jamais entendus -, cette "Symphonie alpestre" offre le paysage intense d'une richesse thématique inouïe au langage magistralement achevé.
Honorant le dernier poème symphonique composé par R. Strauss, l'orchestre réalise une performance supérieure qui rend justice à l'art straussien de la grande forme. Les climats se succèdent entre lumière et ombres, portés par des pupitres tous excellents, qui réalisent avec un sens parfait des équilibres, hautement inspirés en termes de couleurs et de timbres, l'impeccable agencement formel. Les musiciens en totale osmose avec leur chef se font maîtres architectes mais aussi peintres.
Et quand a-t-on mieux perçu l'évidence discursive (pourtant complexe) des plans sonores ?
Une expérience sonore, émotionnelle - un sommet artistique, fruit d'un travail au long cours - qui appelle absolument un enregistrement discographique afin de la fixer.
Honorant le dernier poème symphonique composé par R. Strauss, l'orchestre réalise une performance supérieure qui rend justice à l'art straussien de la grande forme. Les climats se succèdent entre lumière et ombres, portés par des pupitres tous excellents, qui réalisent avec un sens parfait des équilibres, hautement inspirés en termes de couleurs et de timbres, l'impeccable agencement formel. Les musiciens en totale osmose avec leur chef se font maîtres architectes mais aussi peintres.
Et quand a-t-on mieux perçu l'évidence discursive (pourtant complexe) des plans sonores ?
Une expérience sonore, émotionnelle - un sommet artistique, fruit d'un travail au long cours - qui appelle absolument un enregistrement discographique afin de la fixer.
Concert donné les 16 et 17 octobre 2020 à la Philharmonie de Paris.
Concert à réécouter le 8 novembre 2020 sur Radio Classique.
Arnold Schönberg (1874-1951).
"Verklärte Nacht" opus 4.
Richard Strauss (1864-1949).
"Eine Alpensinfonie" opus 64.
Orchestre de l'Opéra de national de Paris.
Philippe Jordan, direction musicale.
>> operadeparis.fr
Concert à réécouter le 8 novembre 2020 sur Radio Classique.
Arnold Schönberg (1874-1951).
"Verklärte Nacht" opus 4.
Richard Strauss (1864-1949).
"Eine Alpensinfonie" opus 64.
Orchestre de l'Opéra de national de Paris.
Philippe Jordan, direction musicale.
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