La pièce de Shakespeare qui fit reculer de nombreux compositeurs (dont Verdi, pourtant grand amateur du dramaturge) a-t-elle trouvé en Aribert Reimann le héraut idoine ? Pour beaucoup oui, mais pourtant, que penser d'un "opéra" inspiré a priori par une pièce pleine de bruit, de rage et de douleur et ne dispensant finalement qu'un ennui poli dès la fin de sa première partie (l'œuvre en comptant deux d'inégale longueur) ?
On se souvient de l'argument d'un livret s'attachant à l'essentiel de l'intrigue du "Roi Lear" : le vieux roi, ayant voulu mesurer l'amour que lui portent ses filles, se voit dépossédé de tout avant de sombrer dans une folie irrémédiable. Entre-temps, une humanité et une famille en déshérence se seront déchirées jusqu'à l'anéantissement. Né en 1936, Aribert Reimann s'était difficilement laissé convaincre d'adapter la pièce pour son "théâtre musical". D'abord sollicité par Dietrich Fischer-Dieskau (qu'il accompagnait au piano pour les grands cycles de lieder qu'immortalisa le baryton), il finit par céder en acceptant une commande de l'Opéra de Bavière.
On se souvient de l'argument d'un livret s'attachant à l'essentiel de l'intrigue du "Roi Lear" : le vieux roi, ayant voulu mesurer l'amour que lui portent ses filles, se voit dépossédé de tout avant de sombrer dans une folie irrémédiable. Entre-temps, une humanité et une famille en déshérence se seront déchirées jusqu'à l'anéantissement. Né en 1936, Aribert Reimann s'était difficilement laissé convaincre d'adapter la pièce pour son "théâtre musical". D'abord sollicité par Dietrich Fischer-Dieskau (qu'il accompagnait au piano pour les grands cycles de lieder qu'immortalisa le baryton), il finit par céder en acceptant une commande de l'Opéra de Bavière.
Créé en 1978, ce "Lear", appartient donc au genre du "théâtre musical" dont s'est toujours revendiqué le compositeur berlinois. Il évoque d'ailleurs fortement la tradition dramaturgique germanique post-brechtienne avec ses personnages individualisés vocalement jusqu'à la caricature (ses filles hystériques, ses nobles vaniteux ou risibles, ses bouffons), avec son chœur incarné par un vieillard (Narr) qu'Ernst Alisch dote du nasillement sarcastique qui sied à bien des personnages de Brecht et avec un sens du grotesque créant la fameuse distanciation.
La proposition de Calixto Bieito rappelle aussi avec force cette tradition, évoquant par ailleurs le théâtre de Beckett peuplé de clowns tristes. Les caractérisations du Lear du baryton Bo Skovhus, de l'Edgar du contre-ténor Andrew Watts et l'actualisation de "l'opéra" présenté sur un plateau abstrait, frontal et étouffant vont dans ce sens.
Du théâtre nihiliste que propose Aribert Reimann - qui avait neuf ans en 1945 dans un Berlin en ruines - Bieito ne trahit rien, au contraire. Un vieillard nu et squelettique traverse la scène évoquant autant les camps de concentration que "L'Homme qui marche" de Giacometti, bref ce climat d'après-guerre exténuant des esprits dévastés. Une scénographie ingénieuse transforme un mur de planches noir (la forteresse de Lear) en une forêt inquiétante et carcérale. Quelques beaux tableaux, telle cette poursuite due aux lumières de Franck Evin d'une foule se croisant, marquent la rétine. En définitive, la lecture du metteur en scène espagnol offre sa pertinence habituelle.
La proposition de Calixto Bieito rappelle aussi avec force cette tradition, évoquant par ailleurs le théâtre de Beckett peuplé de clowns tristes. Les caractérisations du Lear du baryton Bo Skovhus, de l'Edgar du contre-ténor Andrew Watts et l'actualisation de "l'opéra" présenté sur un plateau abstrait, frontal et étouffant vont dans ce sens.
Du théâtre nihiliste que propose Aribert Reimann - qui avait neuf ans en 1945 dans un Berlin en ruines - Bieito ne trahit rien, au contraire. Un vieillard nu et squelettique traverse la scène évoquant autant les camps de concentration que "L'Homme qui marche" de Giacometti, bref ce climat d'après-guerre exténuant des esprits dévastés. Une scénographie ingénieuse transforme un mur de planches noir (la forteresse de Lear) en une forêt inquiétante et carcérale. Quelques beaux tableaux, telle cette poursuite due aux lumières de Franck Evin d'une foule se croisant, marquent la rétine. En définitive, la lecture du metteur en scène espagnol offre sa pertinence habituelle.
La musique, entre traitements de masses brutales ou discordantes et étirements plaintifs, n'ouvre aucune respiration ni échappées avec, de surcroît, ses exaspérations de cordes, de vent et ses percussions omniprésentes. Pourtant, dès la fin du premier acte, le langage musical risque l'itération, ne semblant trop souvent que varier a minima ses motifs et procédés - l'invocation aux tempêtes et fléaux cosmiques de Lear ne produisant pas l'effet attendu.
Certes, il s'agit de créer un climat de déréliction, mais Reimann n'atteint jamais à l'intensité et à la grandeur tragique d'un Alban Berg dans "Wozzeck" auquel on le rattache souvent comme héritier. Jamais la douleur - pourtant centrale dans l'intrigue - ne semble s'exprimer et faire chemin dans les cœurs. Voilà une partition souffrant finalement d'une relative abstraction et qui ne s'élève jamais à la sublimation des passions.
Les interprètes sont pourtant somptueux dans un exercice périlleux où les voix ne sont guère ménagées. Evelyn Herlitzius (Goneril), Annette Dasch (Cordelia) et Erika Sunnegärrdh (Regan) se révèlent admirables comme leurs comparses masculins, Derek Welton, Michael Colvin, Kor-Jan Dusseeljee ou encore Lauri Vasar et Andreas Conrad. Mais les contorsions des uns et des autres nous laissent froids tout comme l'impressionnante performance de Bo Skovhus, curieux Lear tout en force et en massive présence.
Certes, il s'agit de créer un climat de déréliction, mais Reimann n'atteint jamais à l'intensité et à la grandeur tragique d'un Alban Berg dans "Wozzeck" auquel on le rattache souvent comme héritier. Jamais la douleur - pourtant centrale dans l'intrigue - ne semble s'exprimer et faire chemin dans les cœurs. Voilà une partition souffrant finalement d'une relative abstraction et qui ne s'élève jamais à la sublimation des passions.
Les interprètes sont pourtant somptueux dans un exercice périlleux où les voix ne sont guère ménagées. Evelyn Herlitzius (Goneril), Annette Dasch (Cordelia) et Erika Sunnegärrdh (Regan) se révèlent admirables comme leurs comparses masculins, Derek Welton, Michael Colvin, Kor-Jan Dusseeljee ou encore Lauri Vasar et Andreas Conrad. Mais les contorsions des uns et des autres nous laissent froids tout comme l'impressionnante performance de Bo Skovhus, curieux Lear tout en force et en massive présence.
Du 21 novembre au 7 décembre 2019.
27 et 30 novembre à 19 h 30, 4 et 7 décembre à 19 h 30.
Opéra national de Paris - Palais Garnier.
Place de l'Opéra Paris 9e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
"Lear"
Opéra en deux parties (1978).
D'après William Shakespeare, "King Lear"/
En langue allemande.
Musique : Aribert Reimann.
Livret : Claus H. Henneberg.
Direction musicale : Fabio Luisi.
Mise en scène : Calixto Bieito.
27 et 30 novembre à 19 h 30, 4 et 7 décembre à 19 h 30.
Opéra national de Paris - Palais Garnier.
Place de l'Opéra Paris 9e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
>> operadeparis.fr
"Lear"
Opéra en deux parties (1978).
D'après William Shakespeare, "King Lear"/
En langue allemande.
Musique : Aribert Reimann.
Livret : Claus H. Henneberg.
Direction musicale : Fabio Luisi.
Mise en scène : Calixto Bieito.