Rencontre avec un jeune homme brillant, passionné, très soucieux d'accompagner, grâce à son art, les évolutions de la société.
Christine Ducq - Vous semblez désormais être un des chefs attitrés de Kaija Saariaho. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Clément Mao-Takacs - Je suis amoureux de sa musique depuis mes années d'études au Conservatoire ! Et même avant, lorsque j'ai découvert son opéra "L'Amour de loin" et ses premières œuvres : un vrai coup de foudre ! J'ai écrit divers articles et mémoires sur son œuvre, puis je l'ai rencontrée et interviewée. En 2006 j'ai assisté à la création de son oratorio "La Passion de Simone" à Vienne - autre coup de foudre. En 2013, avec le metteur en scène Aleksi Barrière*, nous avons voulu le monter et Kaija Saariaho a accepté d'en écrire une version de chambre pour dix-huit instruments qui a été créée par Secession Orchestra. C'est un spectacle qui tourne toujours et que nous avons déjà donné treize fois - et je compte bien l'enregistrer un jour prochain !
Kaija Saariaho a, je crois, apprécié ma façon de travailler son œuvre et de l'interpréter en y consacrant autant de temps et d'énergie que pour Bach, Wagner ou Debussy ; elle m'a fait confiance et j'ai même l'honneur d'être dédicataire de la version de chambre de "Quatre Instants". Nous travaillons beaucoup ensemble désormais et sommes devenus amis. Je participe d'ailleurs à la création de son nouvel opéra - en assistant Susanna Mälkki à Aix-en-Provence et Amsterdam, puis en le dirigeant à Helsinki puis à San Francisco. C'est tellement merveilleux de fréquenter des compositeurs vivants : je peux dialoguer avec eux, leur poser des questions sur les partitions quand j'ai un doute -, ce qu'on aimerait parfois faire avec Mozart, Mahler ou Ravel…
Christine Ducq - Vous semblez désormais être un des chefs attitrés de Kaija Saariaho. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Clément Mao-Takacs - Je suis amoureux de sa musique depuis mes années d'études au Conservatoire ! Et même avant, lorsque j'ai découvert son opéra "L'Amour de loin" et ses premières œuvres : un vrai coup de foudre ! J'ai écrit divers articles et mémoires sur son œuvre, puis je l'ai rencontrée et interviewée. En 2006 j'ai assisté à la création de son oratorio "La Passion de Simone" à Vienne - autre coup de foudre. En 2013, avec le metteur en scène Aleksi Barrière*, nous avons voulu le monter et Kaija Saariaho a accepté d'en écrire une version de chambre pour dix-huit instruments qui a été créée par Secession Orchestra. C'est un spectacle qui tourne toujours et que nous avons déjà donné treize fois - et je compte bien l'enregistrer un jour prochain !
Kaija Saariaho a, je crois, apprécié ma façon de travailler son œuvre et de l'interpréter en y consacrant autant de temps et d'énergie que pour Bach, Wagner ou Debussy ; elle m'a fait confiance et j'ai même l'honneur d'être dédicataire de la version de chambre de "Quatre Instants". Nous travaillons beaucoup ensemble désormais et sommes devenus amis. Je participe d'ailleurs à la création de son nouvel opéra - en assistant Susanna Mälkki à Aix-en-Provence et Amsterdam, puis en le dirigeant à Helsinki puis à San Francisco. C'est tellement merveilleux de fréquenter des compositeurs vivants : je peux dialoguer avec eux, leur poser des questions sur les partitions quand j'ai un doute -, ce qu'on aimerait parfois faire avec Mozart, Mahler ou Ravel…
Pourrait-on affirmer que vous êtes comme elle un grand amateur de poésie ? Entre nombreux autres arts peut-être…
C. M.-T. - C'est vrai, je lis beaucoup - mais pas que de la poésie ! Je suis en admiration devant les hommes de vastes connaissances, comme le Zénon créé par Marguerite Yourcenar ou Leonardo da Vinci. Quand on lit la lettre de ce dernier à Ludovico Sforza dans laquelle il énumère tout ce qu'il sait faire, la peinture arrive en dernier lieu, presque comme un post-scriptum… Or, à notre époque, on s'étonne qu'un chef puisse être un pianiste, un compositeur, un lecteur passionné, qu'il puisse visiter des expositions, échanger avec d'autres artistes et penseurs, s'intéresser à la cuisine, écrire des essais... Pourtant, ces différents centres d'intérêt se nourrissent mutuellement et enrichissent la pensée ; c'est simplement une manière de s'exprimer dans différentes langues, de passer de l'une à l'autre, et d'éprouver les proximités et les divergences… Même si la musique et la direction d'orchestre en particulier demeurent mon espace d'expression naturel et préféré !
Rédigez-vous souvent les livrets de vos programmes, tel celui (très érudit) de votre concert d'ouverture de la saison musicale du Musée du Louvre en septembre 2019 ?
C. M.-T. - Pas systématiquement, mais il m'arrive assez souvent de le faire. J'aime les programmes qui sortent de l'ordinaire et je me réjouis de les expliciter : cela fait aussi partie de mon travail de "passeur". Ceci explique pourquoi j'aime diriger aussi dans de petites salles, non soumises à l'impératif économique du "mass entertainment", où nous pouvons de surcroît avoir une autre relation avec le public - comme la rencontre à la fin du concert pour discuter, ce qui est toujours un moment d'échange(s) très fort.
C. M.-T. - C'est vrai, je lis beaucoup - mais pas que de la poésie ! Je suis en admiration devant les hommes de vastes connaissances, comme le Zénon créé par Marguerite Yourcenar ou Leonardo da Vinci. Quand on lit la lettre de ce dernier à Ludovico Sforza dans laquelle il énumère tout ce qu'il sait faire, la peinture arrive en dernier lieu, presque comme un post-scriptum… Or, à notre époque, on s'étonne qu'un chef puisse être un pianiste, un compositeur, un lecteur passionné, qu'il puisse visiter des expositions, échanger avec d'autres artistes et penseurs, s'intéresser à la cuisine, écrire des essais... Pourtant, ces différents centres d'intérêt se nourrissent mutuellement et enrichissent la pensée ; c'est simplement une manière de s'exprimer dans différentes langues, de passer de l'une à l'autre, et d'éprouver les proximités et les divergences… Même si la musique et la direction d'orchestre en particulier demeurent mon espace d'expression naturel et préféré !
Rédigez-vous souvent les livrets de vos programmes, tel celui (très érudit) de votre concert d'ouverture de la saison musicale du Musée du Louvre en septembre 2019 ?
C. M.-T. - Pas systématiquement, mais il m'arrive assez souvent de le faire. J'aime les programmes qui sortent de l'ordinaire et je me réjouis de les expliciter : cela fait aussi partie de mon travail de "passeur". Ceci explique pourquoi j'aime diriger aussi dans de petites salles, non soumises à l'impératif économique du "mass entertainment", où nous pouvons de surcroît avoir une autre relation avec le public - comme la rencontre à la fin du concert pour discuter, ce qui est toujours un moment d'échange(s) très fort.
Combien de musiciens pour le Secession Orchestra ?
C. M.-T. - Nous formons un "pool" (comme disait Boulez) de quarante-cinq musiciens mais notre formation peut présenter jusqu'à quatre-vingt-dix instrumentistes pour une symphonie de Tchaïkovsky par exemple. Nous jouons aussi en formation plus réduite (orchestre de chambre). Notre format le plus courant se situe aujourd'hui autour de quarante à cinquante musiciens, ce qui nous permet de mettre en avant notre travail sur la clarté des plans sonores, la lisibilité des lignes musicales - particulièrement perceptibles dans des salles moyennes comme l'Auditorium du Louvre, où nous donnerons un second concert en mars 2020 (une soirée appelée "Novecento" dédiée à Puccini, Macagni, Respighi et Dallapiccolla pour la "Saison Italienne" du musée) avec la soprano Marie-Laure Garnier.
Les éléments les plus importants de notre travail sont l'exigence (nous prenons le temps de creuser notre interprétation) et la qualité de l'écoute entre les musiciens, entre les différents pupitres. Un orchestre doit développer la même écoute que celle de membres d'un quatuor à cordes, y compris - surtout ! - dans les passages les plus denses et complexes.
Secession Orchestra, c'est un orchestre pour notre temps ?
C. M.-T. - Oui. Pour nous, un concert est un spectacle vivant, en prise directe avec la société dans laquelle nous vivons et œuvrons. Il peut et doit être l'occasion d'une réflexion collective sur le monde qui nous entoure. Humblement, à notre mesure, à chacun de nos concerts, nous essayons d'accompagner l'évolution de cette société - qu'il s'agisse de questions touchant au féminisme (de la visibilité des femmes aux violences qui sont commises à leur encontre en passant par la parité), de représentation de la diversité, de transmission aux jeunes générations, de désertification culturelle, de l'accompagnement de fin de vie, des publics en situation de handicap… C'est aussi pour cela que j'ai créé Secession Orchestra : un orchestre qui relit le passé pour le rendre présent, qui relie le passé et le présent, et dont chaque manifestation artistique est l'occasion d'un partage humain, quel que soit le lieu où nous nous produisons.
C. M.-T. - Nous formons un "pool" (comme disait Boulez) de quarante-cinq musiciens mais notre formation peut présenter jusqu'à quatre-vingt-dix instrumentistes pour une symphonie de Tchaïkovsky par exemple. Nous jouons aussi en formation plus réduite (orchestre de chambre). Notre format le plus courant se situe aujourd'hui autour de quarante à cinquante musiciens, ce qui nous permet de mettre en avant notre travail sur la clarté des plans sonores, la lisibilité des lignes musicales - particulièrement perceptibles dans des salles moyennes comme l'Auditorium du Louvre, où nous donnerons un second concert en mars 2020 (une soirée appelée "Novecento" dédiée à Puccini, Macagni, Respighi et Dallapiccolla pour la "Saison Italienne" du musée) avec la soprano Marie-Laure Garnier.
Les éléments les plus importants de notre travail sont l'exigence (nous prenons le temps de creuser notre interprétation) et la qualité de l'écoute entre les musiciens, entre les différents pupitres. Un orchestre doit développer la même écoute que celle de membres d'un quatuor à cordes, y compris - surtout ! - dans les passages les plus denses et complexes.
Secession Orchestra, c'est un orchestre pour notre temps ?
C. M.-T. - Oui. Pour nous, un concert est un spectacle vivant, en prise directe avec la société dans laquelle nous vivons et œuvrons. Il peut et doit être l'occasion d'une réflexion collective sur le monde qui nous entoure. Humblement, à notre mesure, à chacun de nos concerts, nous essayons d'accompagner l'évolution de cette société - qu'il s'agisse de questions touchant au féminisme (de la visibilité des femmes aux violences qui sont commises à leur encontre en passant par la parité), de représentation de la diversité, de transmission aux jeunes générations, de désertification culturelle, de l'accompagnement de fin de vie, des publics en situation de handicap… C'est aussi pour cela que j'ai créé Secession Orchestra : un orchestre qui relit le passé pour le rendre présent, qui relie le passé et le présent, et dont chaque manifestation artistique est l'occasion d'un partage humain, quel que soit le lieu où nous nous produisons.
Vous avez créé deux festivals. Où en sont-ils ?
C. M.-T. - Le festival "Intervalles" se déploie à Paris et en Île-de-France (notamment dans l'Essonne où se dessine d'ailleurs une résidence de Secession Orchestra pour les années à venir). "Terraqué" est ancré en Bretagne, à Carnac (Morbihan). En 2020, ce sera leur quatrième édition. En plus de la présence de Secession Orchestra, y viennent, depuis la première édition, de nombreux instrumentistes, comédiens(nes), artistes lyriques (Marie-Laure Garnier, Romain Dayez, Edwin Fardini, Irina de Baghy, Fiona McGown, Yu Shao, Marion Lebègue, Axelle Fanyo, Marianne Seleskovitch, etc.) qui sont devenus au fil du temps pour certains d'entre eux des amis(es). C'est toute une nouvelle génération qui pense différemment la "carrière", davantage autour de projets qui nous tiennent à cœur et dans une collaboration étendue sur le long terme - une sorte de famille d'artistes.
Ces deux festivals sont aussi deux belles histoires avec des publics très mélangés - qui va de gens qui ne connaissent pas la musique à des mélomanes très exigeants -, et surtout d'une fidélité qui réchauffe le cœur. À Carnac, nous sommes complets tous les soirs durant une dizaine de jours et le public qui n'a pu entrer reste sur les parvis de l'église pour nous écouter du dehors ! Ce succès va d'ailleurs nous conduire à la construction d'un théâtre lyrique pour accueillir tout au long de l'année ce public de passionnés de musique classique et contemporaine : une autre aventure qui s'annonce palpitante !
* Clément Mao-Takacs a créé et codirige, avec le metteur en scène Aleksi Barrière, la compagnie de théâtre musical et d'opéra de chambre "La Chambre aux Échos".
Secession Orchestra est en résidence à la Fondation Singer-Polignac et au Petit Palais ; il est soutenu dans son développement et ses projets par la DRAC Île-de-France et par la Caisse des Dépôts, son mécène principal.
C. M.-T. - Le festival "Intervalles" se déploie à Paris et en Île-de-France (notamment dans l'Essonne où se dessine d'ailleurs une résidence de Secession Orchestra pour les années à venir). "Terraqué" est ancré en Bretagne, à Carnac (Morbihan). En 2020, ce sera leur quatrième édition. En plus de la présence de Secession Orchestra, y viennent, depuis la première édition, de nombreux instrumentistes, comédiens(nes), artistes lyriques (Marie-Laure Garnier, Romain Dayez, Edwin Fardini, Irina de Baghy, Fiona McGown, Yu Shao, Marion Lebègue, Axelle Fanyo, Marianne Seleskovitch, etc.) qui sont devenus au fil du temps pour certains d'entre eux des amis(es). C'est toute une nouvelle génération qui pense différemment la "carrière", davantage autour de projets qui nous tiennent à cœur et dans une collaboration étendue sur le long terme - une sorte de famille d'artistes.
Ces deux festivals sont aussi deux belles histoires avec des publics très mélangés - qui va de gens qui ne connaissent pas la musique à des mélomanes très exigeants -, et surtout d'une fidélité qui réchauffe le cœur. À Carnac, nous sommes complets tous les soirs durant une dizaine de jours et le public qui n'a pu entrer reste sur les parvis de l'église pour nous écouter du dehors ! Ce succès va d'ailleurs nous conduire à la construction d'un théâtre lyrique pour accueillir tout au long de l'année ce public de passionnés de musique classique et contemporaine : une autre aventure qui s'annonce palpitante !
* Clément Mao-Takacs a créé et codirige, avec le metteur en scène Aleksi Barrière, la compagnie de théâtre musical et d'opéra de chambre "La Chambre aux Échos".
Secession Orchestra est en résidence à la Fondation Singer-Polignac et au Petit Palais ; il est soutenu dans son développement et ses projets par la DRAC Île-de-France et par la Caisse des Dépôts, son mécène principal.
18 mars 2020 à 20 h
"Novecento", dans la série des "Concerts du Soir".
Marie-Laure Garnier, soprano.
Secession Orchestra,
Clément Mao-Takacs, direction.
Auditorium du Musée Louvre, Paris 1er.
Programme : Respighi, Rota, Dallapiccola, Puccini, Mascagni, Tosti, etc.
2 avril 2020 à 20 h 30.
"Mort et Transfiguration"
Marion Lebègue, mezzo-soprano.
Axelle Fanyo, soprano.
Secession Orchestra,
Clément Mao-Takacs, direction.
Collège des Bernardins
Programme : Richard Wagner, Richard Strauss, Gustav Mahler.
12 et 13 avril 2020.
"La Passion de Simone" (Saariaho/Maalouf).
La Chambre aux échos et Avanti! Chamber Orchestra.
Aleksi Barrière, direction scénique.
Clément Mao-Takacs, direction musicale.
Musiikkitalo (Maison de la Musique), Helsinki (Finlande).
"Novecento", dans la série des "Concerts du Soir".
Marie-Laure Garnier, soprano.
Secession Orchestra,
Clément Mao-Takacs, direction.
Auditorium du Musée Louvre, Paris 1er.
Programme : Respighi, Rota, Dallapiccola, Puccini, Mascagni, Tosti, etc.
2 avril 2020 à 20 h 30.
"Mort et Transfiguration"
Marion Lebègue, mezzo-soprano.
Axelle Fanyo, soprano.
Secession Orchestra,
Clément Mao-Takacs, direction.
Collège des Bernardins
Programme : Richard Wagner, Richard Strauss, Gustav Mahler.
12 et 13 avril 2020.
"La Passion de Simone" (Saariaho/Maalouf).
La Chambre aux échos et Avanti! Chamber Orchestra.
Aleksi Barrière, direction scénique.
Clément Mao-Takacs, direction musicale.
Musiikkitalo (Maison de la Musique), Helsinki (Finlande).
● "Kaija Saariaho".
Graal Théâtre - Circle Map - Neiges - Vers toi qui es si loin.
Peter Herresthal, violon.
Oslo Philharmonic Orchestra.
Clément Mao-Takacs.
Label : Bis Records.
Distribution : Outhere Music.
Sortie : septembre 2019.
>> secessionorchestra.com
Graal Théâtre - Circle Map - Neiges - Vers toi qui es si loin.
Peter Herresthal, violon.
Oslo Philharmonic Orchestra.
Clément Mao-Takacs.
Label : Bis Records.
Distribution : Outhere Music.
Sortie : septembre 2019.
>> secessionorchestra.com